L’Acte psychanalytiqueSéminaire du 28 septembre 2019
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PROLOGUE
Nous y revoilà. Je vais donc continuer à développer, en tentant une énonciation nouvelle, le foisonnement et le fourmillement incessant de la pensée du Penser concernant la cure et dans la cure l’Acte. A vrai dire ce n’est pas sans conséquence, comme je vous l’ai déjà indiqué. Mais ça me reprend à certains moments de constater qu’on ne sort pas indemne de cet exercice. Pour le dire de manière triviale, et en se référant à la sagesse populaire, on sort toujours de l’ambigüité à son détriment. Je vais tout de même en dire un peu sur ce phénomène ethnologique. En effet, si on se place du point de vue de l’ethnologie structurale, ce phénomène est assez banal : plus on se désolidarise de l’orthodoxie freudo lacanienne, plus on se détache de toutes ses croyances alors, plus on s’exclut de l’appartenance. Non pas seulement socialement, ce qui ne serait ni grave ni insupportable, mais surtout psychiquement. Car on ne peut échapper, se soustraire, à la nécessité qu’il y ait appartenance. Ne croyez pas que quand j’énonce cela il s’agisse d’une plainte ou d’un quelconque état d’âme. C’est un fait culturel naturel incontournable. On ne peut faire sans ou alors s’exposer au radical de jouer les héros. Position hystérique ou histrionique peu enviable. C’est à partir de cette nécessité qu’il faut qu’il y ait un lieu, ou un territoire, où l’on puisse développer un collectif qui se constitue à partir des fondamentaux à la fois de l’ethnologie structurale des sociétés modernes et ceux de la psychanalyse structurale tels que je les énonce devant vous. C’est ce qu’on a tenté avec Hygie et maintenant avec la CPTS Nord Essonne Hygie : il s’agit de mettre en œuvre ce qui a été pensé théoriquement. Dans tout ce que j’ai entrepris dans la réalité sociale, y compris dans mes entreprises réputées lucratives et capitalistiques, c’est toujours ce qui m’a animé. Avec plus ou moins de réussite. Je pense que si nous échouons, la psychanalyse structurale s’éteindra avec nous. Ce qui n’est pas grave en soi : nous nous serons bien divertis. Mais si nous réussissons cette expérience d’actualisation de ces concepts, cela s’inscrira peut-être dans la réalité sociale et leur donnera alors une existence réelle, voire même un avenir !
Car l’adhésion formelle des uns et des autres à Espace n’est pas suffisante et n’est pas opératoire. Cela ne permet pas l’appartenance. J’ai pu en prendre acte quand, poussé par Claude Boukobza, j’ai entrepris de sacrifier au rite qui permet d’accéder, dans cette association, à la position (ou au statut) d’AM (Analyste Membre) vieille réminiscence de l’Ecole Freudienne (AE-Analyste de l’Ecole). Je n’étais guère convaincu. De fait, ce prétendu protocole n’est qu’un rite de cooptation où il s’agit de déterminer si le postulant a des convictions (croyances) semblables à celles de ceux qui l’accréditent. Je devais rencontrer différents psychanalystes (Saladin, Sapriel…et d’autres dont j’ai oublié les noms et les visages), AM eux-mêmes. J’ai commencé ces visites. Il était alors clair que la psychanalyse qui m’anime n’avait rien de commun avec ce qui étayait leur position freudo-lacanienne. Il aurait fallu que je donne l’impression de m’y conformer. Tout au moins pour partie. Mais cela m’était impossible : j’étais sorti de ma place de marrane. J’ai préféré me retirer sur la pointe des pieds sans avertir quiconque. C’est mieux ainsi.
En effet, c’est beaucoup plus commode de se contenter d’Acter ce qui a été pensé et de conserver par devers soi cette pensée théorique de la pensée du Penser. Et d’en faire l’économie de l’énonciation dans la réalité sociale. Car cette énonciation ne peut s’effectuer que si a minima il y a du collectif. Mais même à ce prix, on n’évite pas psychiquement ce qui en coûte. L’énonciation quoique naturelle impacte celui qui la produit. La seule issue serait qu’il n’y ait plus personne pour écouter et entendre ! Ce qui n’est pas encore le cas. D’une certaine manière, donc, d’y participer, pour vous, c’est aussi à vos risques qui sont les mêmes que ceux que j’éprouve. A savoir la désappartenance à la communauté psychanalytique freudo lacanienne. Mais pas seulement. En tout état de cause, il vaudrait mieux que nous réussissions à constituer un collectif territorialisé élargi.
Aussi, je vais tenter, puisqu’il n’est pas question que je m’arrête, de vous donner un aperçu de ce que je me propose d’aborder dans les mois qui viennent. Car quoique cela ne vous soit pas clairement évident, je sais exactement où je vais et comment j’y vais. Ce qui est toujours aléatoire c’est avec qui et à quel rythme. Autant dire que l’enchainement des séminaires n’est pas le fruit du hasard. Ou pas seulement. Il y a un fil conducteur qui en trame la concaténation. Même si cela n’apparait pas au premier abord ni même, peut-être, a postériori. Il y a toujours une intention sous jacente, un objectif et une finalité derrière l’apparence anecdotique et même derrière les digressions pseudo autobiographiques. Montaigne avait bien perçu quand il dit : « il y a en chacun de nous la totalité des caractères de l’humaine condition. Chaque homme porte en lui l’humaine condition » [1]. A partir de là où nous en sommes de l’approche théorique de l’agencement des rapports entre psychanalystes et psychanalysants, et de l’organisation spatiale de la séance, ce qui est visé c’est ce qui fait la spécificité de la cure psychanalytique, d’abord dans sa conduite de la cure mais aussi dans la position du psychanalyste dans le collectif. Etant entendu que la cure est déjà une pratique sociale dont j’essaie de cerner la nature. Elle n’est pas extra territoriale.
Si vous avez à la mémoire ce dont il s’agissait dans les séminaires précédents, vous avez sans doute perçu que cela tournait autour de la pertinence et de la légitimité théorique de ce qu’il est convenu d’appeler le dispositif divan/fauteuil. En particulier, j’avais commencé à proposer que ce dispositif singulier ne tombait pas de nulle part (comme s’il s’agissait d’une innovation « géniale » (ex abrupto de Freud) mais qu’il s’inscrivait dans la continuité d’un phénomène « naturel », à savoir cette histoire « d’affinité élective ». A partir de quoi, je posais les bases d’une théorisation possible de ce dispositif somme toute restées passablement empiriques. Car, à ma connaissance, cette nécessité d’en donner une modélisation n’a jamais été perçue comme justifiée. Aussi, on n’en a jamais produit une articulation théorique. On convient de considérer que ce dispositif, comme celui de la règle fondamentale qui lui est complémentaire, est nécessaire et pertinent parce que Freud l’a imposé et parce qu’on constate qu’il est efficient. Quant à l’efficience, ce n’est pas faux. Cela reste scientifiquement insuffisant. Mais on s’en contente.
Peut-être avez- vous le souvenir que précédemment je me suis efforcé de fonder, autrement que de manière freudienne, ce qu’il est convenu d’appeler la règle fondamentale réduite à l’injonction impérative faite au psychanalysant d’associer librement : dire ce qui vient. Freud arguait qu’il s’agissait d’un expédient efficace, à l’instar de la prise en compte dans la cure du rêve, de l’acte manqué, du lapsus et même du symptôme, pour contrer la raison raisonnante et accéder aux représentations pulsionnelles refoulées dans l’Inconscient. Avec un grand I. Je vous rappelle en raccourci mon approche théorique de l’efficience, et de la nécessité, de cette règle fondamentale ainsi que l’utilisation de ces événements incongrus que sont les lapsus, le rêve, les actes manqués. Si ce dispositif a une pertinence, c’est parce que dés l’entrée dans la cure, à travers le recours à ces expédients, le psychanalysant métaphorise le penser stochastique, que l’on suppose pour partie stoppé, qui s’oppose aux rationalisations imaginaires moïques que la langue produit. Métaphore bien imparfaite de ce qui se joue dans le registre inconscient subjectif, quand il est opérant. Puisque dans ce registre opère exclusivement la dynamique sémiotique des phonèmes dans leur occurrence aléatoire. Il n’y a pas dans l’inconscient traitement de signes par l’organisation syntaxique laquelle fait signification c’est-à-dire sémantisation. L’hypothèse est que le système inconscient est un organe de codage phonématique psychique des représentations perceptives sensorielles sans fomenter pour autant, dans un premier temps, de véritable unité de signification, c’est-à-dire du signe. Cette opération de codage précède et permet l’avènement du signe, dont le signifiant qui le précède est le fondement, qui porte lui la signification. Dans les maladies psychiques ce Penser stochastique est bien empêché ou détourné de son objectif, et génère les systèmes symptomatiques, ce qui n’est pas se qui se passe dans la schizophrénie. Dans ces affections tout se passe alors comme si on était en présence d’une pseudo langue qui ne constitue aucun discours puisque toute énonciation en serait exclue. Pour faire image, dans la névrose il s’agirait de représentations mythologiques inscrites dans une langue morte (le Préconscient) dont les effets constitueraient les fixations et détermineraient les répétitions. Leurs énoncés dans la langue parlée les fait advenir en systèmes de pseudo significations et activent les capacités de croyances qui permet la survie. Rendre les discours supports de croyance explicites, c’est-à-dire mythologiques, signe la fin de la phase constructive.
Reste donc, si on veut théoriser ce qui fait psychanalyste, et qui reste prétendument une énigme, il me parait nécessaire de théoriser auparavant ce qui se joue, du point de vue métapsychologique, entre le psychanalyste et le psychanalysant au travers de ce dispositif divan/fauteuil. Ce qui se joue et n’a jamais été divulgué théoriquement. Car les justifications phénoménologiques que Freud avance sont, à mon sens, de l’ordre du folklore. L’hypothèse que je formule est donc que ce dispositif divan/fauteuil a pour fonction d’actualiser et de mettre en scène la position singulière du psychanalyste qu’on réduit, pour se débarrasser de cette énigme, à un prétendu désir spécifique ou aux effets d’une transmission. Aujourd’hui on passe à l’acte de psychanalyser sans comprendre ce qui motive ce dispositif divan/fauteuil.
De fait, les développements antérieurs sur les affinités électives avaient pour objectifs d’aborder, pour le fonder, ce qu’il en est de la position métapsychologique que ce dispositif induit. Ce que j’ai tenté de montrer c’est que ce dispositif relève d’une aptitude comportementale génétiquement acquise et donc phylogénétiquement universelle. Freud en aurait capté la réalité et l’aurait utilisée pour instaurer, à partir de mauvaises raisons, le dispositif divan/fauteuil. J’ai commencé à démontrer que cette aptitude universelle chez Homo Sapiens avait une fonction essentielle dans la structuration de l’appareil psychique. Comme antécédemment les vocalises puis le jeu solitaire des très jeunes enfants sont une nécessité, cette disposition particulière d’affinité élective permet d’aboutir à la fin de la structuration dynamique de l’appareil psychique. Cette nécessité concerne la mise en place et la stabilisation de la dynamique Sujet/Moi. Aujourd’hui je vais poursuivre et terminer cette démonstration. Il m’a en effet semblé que procéder dans cet ordre où l’on définit théoriquement ce qui se joue dans la dynamique métapsychologique de ces deux dispositifs qui structurent le cadre de la cure (protocole dit-on) et permet l’Acte psychanalytique (pour peu qu’il y ait véritablement un psychanalyste qui l’opère) était la manière la plus logique pour poser et résoudre enfin cette prétendue énigme du désir du psychanalyste. On verra, en effet, qu’il n’y a pas à proprement parler désir du psychanalyste mais quelque chose qui force à psychanalyser. En d’autres termes, déterminer à faire émerger les conditions métapsychologiques nécessaires et suffisantes pour qu’il y ait du psychanalyste possible. Nécessaire et suffisantes parce qu’il se trouve naturellement en capacité de soutenir ce protocole de la cure et d’assumer les deux dispositifs qui le composent. C’est dire qu’il fallait d’abord démontrer que ce dispositif divan/fauteuil n’était pas un « rite » artificiellement imposé par Freud, rite qui aurait induit une pratique shamanique, mais qu’il était pertinent parce que s’étayant sur une aptitude innée nécessaire à la structuration de l’appareil psychique en particulier dans sa phase terminale de la cure. Cette histoire d’affinité élective duale identifiée par Montaigne et théorisée au XIXème Siècle par Goethe, débarrassée par Max Weber de ses fatras affectifs et sentimentaux, préfigure et accrédite le dispositif divan/fauteuil.
Je vais aujourd’hui poursuivre la théorisation de cette hypothèse qui consiste à démontrer comment à son insu, Freud a initié une possible subversion de cette aptitude duale phylogénétique pour la transformer en un fondement incontournable de la cure psychanalytique. Cette démonstration de ce qui se joue dans ce dispositif débouchera sur la mise en évidence que la position de psychanalyste ne peut pas être tenue par un quiconque. Et que donc l’autorisation à assumer cette position n’est pas déterminée par ce qu’on invoque habituellement. Et que d’en appeler à un prétendu désir ou à la transmission est une impasse pour aborder ce qui s’y joue. Car en appeler au désir, même si on le différencie d’une envie, est voué à l’échec. D’où la nécessité de recourir à une hypothétique transmission. Ce que Lacan avait tenté sans succès.
Puis, une fois dévoilé ce qui autorise un qui n’est pas quiconque à psychanalyser et quelle configuration psychique le nécessite, je m’attacherai à démontrer que cette configuration psychique qui autorise à psychanalyser n’est pas réservée aux seuls psychanalystes. Elle est aussi l’apanage des artistes et des mystiques. Si je m’engage dans cette démonstration, ce n’est pas pour faire digression culturelle et savante, ni pour inférer qu’il serait possible de faire une psychanalyse de l’art ou de l’œuvre artistique ou de l’artiste, ce à quoi certains psychanalystes se sont essayés, mais pour introduire par cette voie une réflexion théorique sur la question de la position du psychanalyste dans le collectif. Comment et pourquoi s’y baguenaude-t-il le psychanalyste dans le social ? Et que partant, cette position est, en quelque sorte, une obligation culturelle dans le fonctionnement du collectif au sens où Lévi-Strauss considère cette dynamique culturelle. Manière d’aborder autrement ce qu’on appelle, après Lacan (et à tort), la pratique de la psychanalyse en extension. Car cette expression ne peut qu’induire en erreur. Certes, si la psychanalyse est une science alors, à bon droit, elle a sa place dans la culture de nos sociétés comme toute autre science. Mais cette affirmation est notoirement insuffisante. La psychanalyse en extension n’a pas à voir seulement avec la « transmission » prétendue de cette science.
A partir de quoi mon intention est de démontrer que, eu égard à cette nécessité de présence du psychanalyste dans le collectif (à l’instar de celle de l’artiste et du mystique) la psychanalyse s’avère receler les caractéristiques nécessaires pour être qualifiée d’humaniste. Bien sûr il ne s’agit pas de pratiquer dans le collectif, et comme légitimement, la psychanalyse sauvage qui peut se présenter de diverses manières. Ni de faire le pédagogue de la sagesse ou le moraliste surmoïque qui donne des leçons de vie à la manière du philosophe. Il s’agit de faire apparaitre sa responsabilité incontournable dans la dynamique culturelle. Responsabilité humaniste, pour le dire pompeusement, qui se différencie et s’oppose même à l’humanisme classique tel qu’il nous est présenté depuis l’antiquité grecque ou romaine. Idéologie reprise en particulier au siècle des lumières. Vous devez sans doute supputer et anticiper que cela tourne autour d’attester de l’Ex-sistence subjective dans le collectif. Puisqu’aussi bien le collectif et l’appartenance qui le constitue relève d’un système de croyances, qu’on assimile, de telle sorte de constituer, comme artificiellement, du semblable. Et le semblable ne peut se constituer que comme une personne (sur le versant moïque) qui adhère aux mêmes systèmes de croyances (de valeurs dit-on) qui détermine le collectif auquel tous ses membres « appartiennent ». C’est dire que cette fabrique culturelle de semblable, pour qu’il y ait du collectif, ignore superbement ce qu’il en est de la singularité du Sujet et de sa modalité d’Ex-sistence dans la réalité sociale.
Mais pour y revenir, cette défense et illustration de cette fonction « humaniste » de la psychanalyse (dite en extension) ne doit pas déboucher, pour le psychanalyste sur on ne sait quelle idéalisation ou infatuation de sa personne dans le collectif. Cela ne lui confère aucune aura. Car quoique sa position soit à la fois particulière (la fonction qu’il joue dans le système culturel collectif) et singulière (d’indifférence engagée), elle est aussi banale qu’une autre. Comme je le disais, il n’y a pas de quoi pavoiser. Le psychanalyste, comme tout un chacun, est bien peu de chose. Et il le sait. Il sait de plus que cette position n’est pas un rôle que l’on joue avec l’esprit de sérieux propre au philosophe ou la componction cardinaliste propre au prêtre. Cette position est, ou devrait être, naturelle. Sans affectation.
Et, complémentairement à cette tentation d’infatuation, il ne faudrait pas que ce destin humaniste nourrisse l’illusion qu’il serait possible d’agir sur l’organisation de la culture elle-même et d’influer sur les idéologies sociales et politiques. A défaut de ne pas avoir le pouvoir d’apporter à chacun le bonheur ! Faire comme si la psychanalyse et les psychanalystes qui en seraient les hérauts, serait en mesure de faire progresser l’organisation sociale vers le mieux pour le collectif sans pour autant sacrifier à l’illusoire advenue des lendemains qui chanteraient. Mais qui doutent. La psychanalyse ne peut ni réformer le social ni transformer la nature de la culture. De la même manière que rien dans la théorie psychanalytique n’autorise le prosélytisme de la bonne santé mentale, ni même la guérison comme laïque mais aussi comme « obligatoire », rien non plus ne l’autorise à espérer apporter l’harmonie dans la société. Je dirais même qu’elle s’oppose à toute prophylaxie.
C’est pourquoi, dans le cadre de cette esquisse d’une anthropologie générale structurale, je consacrerai un développement aux heurs et malheurs de la fomentation des cultures. Cultures qui se présentent comme des institutions, à l’instar des langues. Ces deux institutions parce qu’elles procèdent du langage sont les seules institutions humaines à partir desquelles toutes les autres découlent. Ce sont ces deux uniques institutions qui pallient l’impossibilité « naturelle », c’est-à-dire instinctuelle, à l’effectuation de cette aptitude à la grégarité dont Homo Sapiens est récipiendaire. Pour que cette grégarité s’avère et opère, il est nécessaire qu’il y ait l’appareil à langage qui permet la structuration de ces deux institutions. Et sans cette institution qu’est la culture il n’y aurait pas possibilité de préserver l’espèce. On verra que l’institution d’une culture, comme condition de l’activation de l’aptitude génétique à la grégarité, se fomente sous l’égide de la langue, et grâce à l’appareil psychique, et consiste à générer des mythes nécessaires à produire de l’appartenance. Or, dans cette réalité sociale, le psychanalyste, si on me suit, sans autre ni semblable puisqu’en position subjective, occupe une position qui ne va pas de soi puisqu’elle s’avère antagoniste à l’appartenance : donc à l’exigence de grégarité dévolue à l’espèce. Pour le dire avec ironie, pour que les hommes soient tous frères, il faut et il suffit d’éluder la dimension subjective de l’appareil psychique pour permettre la constitution d’un collectif parfait. Ce qui fait désordre et ne manque pas d’interpeller le philosophe qui en a l’intuition sans pouvoir en dire quoi que ce soit de sensé. Alors il fait apparaitre cette carence de place du subjectif dans la réalité sociale sous les oripeaux de la problématique de la liberté. Mais les tribulations d’Homo sapiens ne s’arrêtent pas à ce seul paradoxe. En effet, un système de croyances n’est efficace (et ne prend sens) que s’il s’oppose à d’autres systèmes de croyances qui ont les mêmes finalités de production de « semblables ». Et c’est alors dans cette opposition que des systèmes de croyance, parce qu’ils font « sens », font « cause » pour laquelle on est prêt à se battre, à mourir ou à tuer pour la défendre. Et c’est là que réapparait la nécessité subjective qui fait l’humanité de l’homme, comme en creux. Car si on s’oblige à le défendre jusqu’à la mort, c’est parce que pour les uns comme pour les autres, ce système de croyance, constitue une menace de déshumanisation. En d’autres termes un système de croyances représente l’humanité tout en l’excluant et ne vaut que pour ceux qui le partagent. C’est dire que ceux qui se soumettent à un autre système de croyances ne sont pas humains. En tous cas on est autorisé à leur dénier la qualité d’humains. Cette position ethnologique oblige les psychanalystes à tenir dans leur fréquentation de la réalité sociale une attitude objective de misanthropie. Ce qui le détermine à renoncer aux vertiges de l’utopie et de l’idéologie, de quelque nature qu’elles soient, sans verser pour autant dans la dystopie. Là encore l’idéalisation ni le dérangerait chez les autres, ni ne devrait être le fort du psychanalyste. Mais, j’y insiste, il n’y a pas matière au pessimisme ou pire à la déréliction. C’est mon coté darwinien. C’est ainsi. Il faudra en dire un peu plus.
Je pense que tout ceci devrait nous mener jusqu’en juillet 2020 où peut-être nous pourrions aborder ce qu’il en est de la psychanalyse en extension. Voire évoquer, comme a postériori, sous quelle révolution scientifique s’est fondée cette approche anthropologique structurale générale de la réalité de la nature humaine. Donc je récapitule :
- D’abord une modélisation du dispositif asymétrique (divan/fauteuil) propre à la cure psychanalytique structurale.
- Puis une modélisation métapsychologique topico-dynamique particulière de la structuration de l’appareil psychique échue au psychanalyste
- Ensuite l’extension de cette configuration en particulier comme nécessaire à la production artistique :
Littéraire
poétique
musicale
picturale
sculpturale
- Puis s’intéresser à la singularité de la position mystique. Et, dans la continuité, dire ce qu’il en est d’un Acte qui serait (ou non) sexuel
- Toutes choses qui permettent d’aboutir à ce que pourrait être un humanisme en regard de la psychanalyse. C’est-à-dire remanié de ce que l’on entend classiquement par humanisme
- Complété par la démonstration de la nécessité d’une position misanthropique (objectale) du psychanalyste dans son rapport à la réalité sociale.
- Pour aboutir à une approche théorique remaniée de ce qu’on repère aujourd’hui sous le vocable de psychanalyse en extension dans le collectif. Dont on ne peut pas faire l’économie.
Tout un programme donc …
DES ORIGINES ET DE LA PERTINENCE DE LA STRUCTURATION DU DISPOSITIF FREUDIEN DIVAN/FAUTEUIL : SUITE ET FIN
Le développement sur le phénomène d’affinité élective, que j’ai proposé dans le dernier séminaire, va me permettre de revenir sur la thèse d’O. Mannoni qui consiste à tenter de démontrer que Freud, à son insu, avait lui-même bénéficié d’une véritable cure psychanalytique empirique. Alors qu’il a toujours revendiqué s’être auto analysé. Auto analyse impossible même quand on s’appelle Freud. C’est une impossibilité formelle que la théorie psychanalytique elle-même nous révèle. Mais pudiquement on fait comme si cela était possible. Parce que Freud l’affirme en contradiction avec sa propre théorie. Mais il n’y fait pas exception. Cette affirmation fait écho à l’aveu pathétique de Lacan : « seul comme je l’ai toujours été » qui, lui non plus, n’a jamais entrepris de cure psychanalytique. Cette référence authentique à la solitude signe la structure psychique qui l’affecte. Et l’Ecole Freudienne peut être considérée comme l’impossibilité de son appartenance et de son inscription dans le collectif. Position hystérique, pour le dire crûment, que la dissolution comme « décollage » confirme d’être un véritable passage à l’acte. Passage à l’acte qui suit la prise de conscience, au travers de la dépendance à son égard des membres de l’Ecole freudienne, de sa dépendance propre à lui-même vis-à-vis de ses élèves incapables de le sortir de sa solitude… Le séminaire étant le moyen de cette dépendance réciproque ! Et de sa survie. Sa mort s’en est suivie. Evidemment si Freud, même à son insu, a bénéficié d’une véritable cure psychanalytique fût-elle empirique et clandestine, alors la contradiction n’existe plus. Et tout rentre dans l’ordre. Cette psychanalyse fantôme Freud l’aurait poursuivie avec Fliess, le « médicastre ». O. Mannoni argue du fait que cette relation privilégiée à Fliess n’était pas seulement amicale ou professionnelle mais a occasionné la mise en place d’un véritable transfert de Freud sur Fliess et même névrose de transfert. C’est là le point pour les psychanalystes archéo freudo lacaniens : s’il y a transfert et névrose de transfert, alors il y a cure psychanalytique. C’est une condition sine qua non. Première psychanalyse donc qui contrairement à ce que Freud soutenait ne serait pas, aux dires de Mannoni, une auto analyse. Il y aurait donc eu psychanalyse « originelle ». Et ce que Mannoni soutient finalement c’est que cette prétendue auto analyse n’en n’est pas véritablement une puisqu’il y aurait eu transfert sur Fliess. Ainsi, Fliess, lui aussi à son insu, aurait été en position de psychanalyste pour Freud. Or, seul le protocole de la cure psychanalytique est censé induire et provoquer cette névrose de transfert. Et sans protocole pas de névrose de transfert. Et sans transfert, on est soit dans une relation amicale duelle ordinaire soit, au mieux, dans une relation de psychothérapie où il n’y a pas à proprement parler de « transfert » ou, en tout cas, pas de « névrose de transfert ». Pour s’en tenir aux conditions psychanalytiques généralement admises, il n’y a de guérison que de résolution de cette névrose de transfert qui se développe exclusivement dans la cure. On soutient classiquement que la psychothérapie, fût elle psychanalytique, se spécifie du fait, justement, qu’elle évite et contourne le phénomène d’abord de transfert puis la mise en place de la névrose de transfert. Il y a seulement un supposé savoir.
Je sais que certains parmi vous se demandent, à bon droit, ce que je fais du transfert dans la cure psychanalytique structurale. La réponse est : rien. Vous le savez, puisque je réfute que le transfert ait une véritable pertinence théorique. Mais si je l’ai toujours affirmé, je ne m’en suis jamais vraiment expliqué. Comme si cela allait de soi que cette histoire de transfert soit nulle et non avenue. Tout juste si j’ai parfois précisé qu’elle était impertinente tout simplement parce que si la pulsion est exclue de la nomenclature des concepts de la psychanalyse structurale, alors le concept de transfert était lui aussi aporétique. J’ajoutais que le concept de « répétition », éminemment freudien, suffisait bien, dans le cadre de cette théorie psychanalytique, à rendre compte du fonctionnement des psychonévroses en général et, se faisant, de son irruption dans la dynamique de la cure. En tout cas pour ce qui concerne les syndromes névrotiques (hystérie, paraphrénie, obsession) et de perversions. Suffisant si on articule ce concept de répétition avec celui de structure défensive adaptative nécessaire à la « survie » tel que je la définis. Et si on s’avise que la dynamique de la cure ressort, tout uniment, d’un phénomène de « déplacement » de cette modalité de survie dans la cure elle-même. Il n’en reste pas moins que ce déplacement, qui fait répétition de la répétition dans la cure, est une nécessité absolue pour qu’il y ait authentiquement cure psychanalytique. Je lui assigne donc, à ce déplacement de la « répétition » dans la cure, la même fonction que celle qu’on attribue ordinairement au « transfert » chez les archéo-freudo-lacaniens.
Vous me direz que je joue sur les mots en évoquant ce déplacement de la répétition « morbide » dans la cure. Je remplacerais le terme de transfert par ceux de déplacement et de répétition. C’est exact. A ceci près qu’il s’agit dans le cas de la psychanalyse structurale de la répétition d’une fixation défensive adaptative qui permet la « survie » et, en même temps, qui empêche le Vivre. Que ce soit aussi bien dans les syndromes névrotiques, que pervers ou psychotiques. Vous savez sans doute que Henry Ey, à partir de sa théorie organogénique dynamiste, considère que l’ensemble des troubles mentaux résultent « d’une désorganisation de la vie psychique » mais aussi « d’une réorganisation (de cette vie psychique) à un état inférieur ». Je vous cite sa conception psychiatrique de ce postulat :
« Dans cette perspective en effet :
- L’organisme et l’organisation psychique qui émerge ou s’y superpose constituent un édifice dynamique et hiérarchisé résultant de l’évolution, de la maturation et de l’intégration des structures stratifiées des fonctions nerveuses, de la conscience et de la personne
- La maladie mentale est l’effet d’une dissolution, d’une déstructuration ou d’une anomalie du développement de cet édifice structural.
- Le processus organique est l’agent de cet accident évolutif : il y a une action destructive ou négative.
- La régression ou l’immaturation de tel ou tel niveau donne à la maladie mentale sa physionomie clinique, celle d’une organisation positive. »[2]
Bien sûr je ne suis pas psychiatre. Mais, à l’hypothèse organogénique dynamiste près, à laquelle je ne souscris pas, je suis tout de même globalement en accord avec cette description de la genèse des troubles psychiques. J’y substitue l’hypothèse, plus radicale, d’un déterminisme d’auto-organisation génétique et épigénétique endogène, facteur et moteur de l’adaptation, qui préside à la structuration d’un appareil psychique dont le développement est concomitant à la structuration de ce que je nomme l’appareil à langage. En d’autres termes comment à partir d’un évènement endogène, que par hypothèse on postule aléatoire dans ses modalités d’effectuation (épigénétique), la structuration de l’appareil psychique se dévoie et engendre des troubles psychiques (et non mentaux) qui prolifèrent en lieu et place (et parfois concomitamment s’il y a clivage topique comme dans la perversion ou la névrose obsessionnelle) de la structuration « normale » de l’appareil psychique. Quand j’emploie l’adjectif « normale », il ne faut pas s’illusionner. Il faut entendre « structuration terminale idéale » tant cette advenue est sujette aux aléas stochastiques endogènes (dits épigénétiques) qui ne manquent pas, dans la majorité des cas, de perturber les phases de structuration dont elle procède. L’occurrence statistique est plus du coté d’une structuration inaboutie qu’advenue. Eventualité qu’Ey admet quand il évoque une possibilité « d’immaturation » comme origine des troubles mentaux. Cette organisation substitutive, quand elle est chronique, s’invite et s’installe dans la cure à la fin de la phase constructive et coïncide avec ce que Freud et les archéo freudo lacaniens repèrent comme mise en place de la « névrose de transfert ». Parfois même les répétitions désertent la réalité sociale du psychanalysant pour se concentrer uniquement dans la cure. Mais pas toujours. C’est à ce moment que nécessite alors l’injonction de la deuxième règle fondamentale de la cure psychanalytique. A savoir « le principe d’abstinence ». Mais nul n’est besoin d’en appeler au transfert pour reconnaitre que cette répétition « exemplaire » s’avère caricaturalement « pure » en cela qu’elle se met en place automatiquement sans que le psychanalysant puisse alors en attribuer la raison à autrui. Pas même à son psychanalyste. Moment de conclure transitionnel où pour lui, aussi elle s’avère, cette structuration, endogène. Et « sans raison » mais pas sans cause. A ce moment là, la répétition n’est plus adressée douloureusement que dans l’espace de la cure. Elle est la suite logique de la phase de construction qui fait apparaitre, à travers un système mythologique épuré, fixé et stabilisé, une organisation de justification des symptômes propre à la survie. Mais ces raisons quoique constituées en un savoir organisé par une logique parfois imparable, ce savoir non seulement ne guérit pas mais fait perdurer la répétition. La répétition, alors, envahit la cure qui devient le lieu exemplaire de la survie. Freud dit « le transfert crée un royaume intermédiaire entre la maladie et la vie »[3]. Ce royaume intermédiaire c’est la survie. Et cette nécessité de survie est telle qu’elle s’oppose farouchement à la guérison sous la forme d’une addiction. Nul besoin donc d’en appeler au « transfert » que tout au long de son œuvre, Freud s’est ingénié à fonder et à définir à partir à la fois de la pulsion libidinale, de l’Oedipe et de l’inconscient…puis de la pulsion de mort.
La question de la névrose de transfert commence avec Dora (1900) dont la psychanalyse dure trois mois et s’interrompt sur, dit Freud à Fliess, une erreur de sa part. Il n’aurait pas vu la nature (œdipienne) du transfert qu’Ida Bauer aurait fait sur lui. Si on essaie de faire un récapitulatif de ce qu’il en est du transfert chez Freud, on trouve pèle mêle des références aux affects, à l’amour, à la haine, à la résistance à la cure, à l’idéalisation de l’objet, au manque, aux imagos (et j’en passe certainement). Toutes choses ou évènements qui se rejoueraient dans le cadre de la cure. Ce qui n’est pas faux mais ne nécessite en aucun cas de recourir au concept de « transfert » dans le sens et la fonction que Freud lui donne, pour rendre compte et expliquer ces répétitions. Pour le dire autrement, la théorie du transfert est une invention explicative hystérique que Freud, de même structure, rationalise pour en faire un concept fondamental dans la conduite de la cure. Que l’hystérique répète dans la cure ces mécanismes adaptatifs de survie est une évidence. Que les mythologies qu’elle développe et qui sont censées expliquer ces répétitions soient considérées comme des trouvailles théoriques me parait tout à fait inadmissible. Et débouche sur une sorte de problématique relationnelle dont il est impossible de sortir. D’où ses considérations sur l’ambivalence du transfert. Pire ennemi de la cure qui entrainerait les réactions thérapeutiques négatives et l’arrêt de la cure, mais aussi levier puissant dit-il. Ambivalence qui se résume à cette banalité laquelle débouche sur cette aberration qu’au moment de la mise en place de la dite névrose de transfert, il y aurait une sorte de bataille entre le psychanalysant transférant et le psychanalyste (« la dure bataille du transfert » a‑t-on l’habitude de dire). Ce qui réduit la cure à une dialectique psychologique relationnelle entre le psychanalyste et le psychanalysant ! C’est alors la foire d’empoigne de savoir qui des deux a les bonnes raisons explicatives. La chose est bien plus simple : ce qu’indique la dite névrose de transfert c’est que le psychanalysant tient à ses mécanismes de survie plus qu’à la vie, sur le mode « d’un tiens vaut mieux que deux tu l’auras »[4], ou pas, la Vie. Il suffit de faire l’hypothèse que les modalités de survie, qui découlent d’une organisation métapsychologique immature ou régressée s’organisent d’un point de vue topique à partir des instances substitutives (en principe transitoires), Moi Idéal- Surmoi-Idéal du Moi. Elles se substituent aux carences ou absence des instances subjective et moïque. Ces organisations singulières des instances substitutives (réputées pathologiques à tort) ne peuvent pas ne pas s’actualiser de manière caricaturale et « pure » puisqu’aussi bien le psychanalyste est censé n’être jamais complice de la dynamique interrelationnelle (indifférence engagée qui oblige) dans laquelle le psychanalysant entraine ses proches et les personnes qu’il est amené à fréquenter dans la vie professionnelle et sociale. Dans la vie quotidienne certains protagonistes relationnels incarnent la figure de telle ou telle instance substitutive topique. D’une certaine manière ces modalités de survie (qu’on repère comme des symptômes) se présentent comme produits par un automatisme mental irrépressible (que je nomme addiction). Ce qui n’est pas faux si on considère que, comme je m’en suis déjà expliqué : ces modalités de survie ne relèvent pas d’une mémoire déclarative épisodico sémantique, comme Freud et Lacan le croyaient, mais des effets de la mémoire non déclarative à long terme (procédurale, conditionnement). Ce qui explique leurs rémanences. Elles persistent malgré la reconnaissance dans la langue, ou dans le discours, à la fois de leur impertinence adaptative et de leur absence de fondement dés lors que les mythologies qui les justifient et les expliquent cessent leurs mystifications. Ces mythologies ne suscitent plus de croyance. Mais les modalités addictives de survie adaptatives persistent.
Toujours est-il que, comme le disait O. Mannoni qui détecte chez Freud un véritable transfert sur Fliess, la relation entre eux est le prototype « empirique » et non théorisé par Freud (il faut attendre Dora) du protocole de la cure. Ce serait ce transfert sur Fliess qui permettrait d’affirmer que l’auto-analyse que Freud revendiquait, était de facto une psychanalyse où Fliess jouait le rôle de psychanalyste. En tant que Supposé Savoir. Cette relation particulière ne serait donc pas du même registre que celle, précédente, que Freud a nouée avec Breuer ou avec d’autres par la suite. En particulier avec Jung et Ferenczi. De fait, il n’en n’est rien, il n’y a pas eu psychanalyse « originelle » avec Fliess, ni d’ailleurs d’auto analyse de Freud. Sans doute cette quête de trouver une première psychanalyse, dont Freud serait le sujet, a‑t-elle pour objectif de justifier le bien fondé des élaborations de Freud et de démontrer en quelque sorte qu’il y aurait eu miraculeusement pas seulement une auto analyse mais auto transmission de la psychanalyse de Freud à Freud grâce à Fliess ! Car reste un point épistémologique crucial qui peut s’énoncer ainsi : comment théoriser la psychanalyse quand on n’est pas soi même passé par le défilé d’une cure menée à bonne fin ? Et que, dés lors, donc : les élaborations censées expliquées le fonctionnement de la réalité psychique ne seraient pas justement, pour rester archéo freudien, une formation de l’inconscient qui servirait à Freud d’établir et de pratiquer ses propres modalités de « survie ». Lacan s’en est avisé quand il s’interroge de savoir si l’Inconscient ne serait pas un délire freudien. Ou dans les termes qui sont les miens une mythologie toujours transformée qui tiendrait lieu de théorie. La tentative d’O. Mannoni est tout de même très astucieuse. Si sa démonstration est valide, alors les élaborations et les inventions de Freud accèdent au statut de « théorie ». Malheureusement pour la psychanalyse et les psychanalystes, pour astucieuse qu’elle soit, sa démonstration n’en n’est pas une. Je serais assez enclin de voir dans la succession des « amitiés » professionnelles de Feud quelque chose qui serait plutôt du registre de ce qu’au cours du dernier séminaire je repérais comme affinités électives toujours recommencées. En répéter, en quelques sortes, les figures qui n’aboutissent à aucune guérison. Mais qui permet de survivre moins mal… dans l’excitation intellectuelle.
Dans le meilleur des cas on peut évoquer que dans cette relation Fliess, comme Breuer auparavant puis Jung et Ferenczi, joue pour Freud le rôle d’Idiot utile. Comme d’une certaine manière Marc Thiberge et J‑L Guigou l’on été pour moi (et quelques autres avant eux). Et moi pour eux. Il ne faut pas prendre cette expression pour péjorative, insultante ou humiliante (bien qu’on l’attribue à Lénine). Elle ne l’est pas. Elle désigne, pour moi, un ignorant de ce qui est en train de s’élaborer et qui, de surcroit, n’est pas intéressé par ce qui est en train de s’élaborer mais tout de même nécessaire à ce qui s’élabore. On pourrait dire, en empruntant à la chimie, qu’il est le catalyseur, un « ingrédient » neutre, qui n’a aucun rôle dans la réaction de la pensée réflexive du Penser. Neutre mais néanmoins nécessaire. De fait, cette fonction de catalyse est réciproque. Si je reviens sur ce qui s’est joué aussi bien à l’Invention freudienne avec Marc Thiberge et à l’IRU Environnement avec J‑L Guigou, cela leur a permis d’élaborer à eux aussi ce qui était le vecteur de leur divertissement. Leur divertissement singulier à chacun ne me concernait, au fond, pas plus que ne les concernait la psychanalyse structurale pour l’un (Mar Thiberge) et l’ethnologie structurale pour l’autre (J‑L Guigou). Si nous nous sommes séparés, c’est que dans l’une comme dans l’autre de nos activités de recherche chacun était arrivé, justement, à ne plus avoir besoin de l’autre pour accéder à la pensée réflexive du Penser dans nos champs respectifs. Tout s’est passé comme si la dynamique endogène subjectivo moïque s’était enclenchée et qu’il n’y avait plus besoin de « catalyseur » pour qu’elle s’opère. Chacun avait atteint une autonomie d’élaboration psychique et/ou de théorisation dans son champ. J‑L Guigou du coté de la géo-économie politique ; Marc Thiberge du coté de l’humanisme social qui a toujours été, aussi bien au niveau de la psychiatrie que de la psychanalyse, son divertissement ; moi du coté de la théorisation de cette anthropologie structurale générale qui implique l’articulation de la théorie psychanalytique structurale avec la linguistique et l’ethnologie structurale. D’une certaine manière, que nous nous soyons perdu de vue était inéluctable et logique. Du point de vue de la structuration de l’appareil psychique, si je me retourne en arrière, il est clair que d’autres, depuis la préadolescence, m’ont servi d’Idiots utiles. Et pour le dire à la manière d’un titre de film de Claude Sautet « Philippe, Edith, Michel, Jean-Pierre, Ado, Catherine, Marc, Jean-Louis et quelques autres ». Les prénoms n’ont pas étés modifiés. Tous, à l’instar de Marc Thiberge et Jean-Louis Guigou, m’ont permis de frayer la pensée réflexive du Penser. C’est d’ailleurs pour cela que je leur voue une irrépressible reconnaissance et une affection indéfectible. Mais aucun n’a joué pour moi un rôle « psychanalytique ». En tout état de cause pour aboutir dans mes recherches, il a fallu que j’en passe auparavant par là : la cure psychanalytique. C’est dire que ni Breuer, ni Fliess, ni Jung, ni Ferenczi n’ont joué ce rôle de psychanalyste pour Freud. C’était seulement des « affinités électives » dans le sens psychanalytique que je tente de leur donner.
Mais, on ne peut pas parler ici de « reconnaissance » au sens habituel du mot à savoir le souvenir affectueux d’un bienfait reçu par le passé qui nécessiterait une obligation morale. Ni d’effusions sentimentales d’attendrissement ou d’émotion. Il s’agiterait plutôt de la reconnaissance qu’il s’est passé quelque chose qui nécessitait cette dualité, pour le coup, asymétrique mais réversible. Dualité nécessaire pour activer le processus de la pensée rationnelle du Penser. Il ne s’agit pas « d’amitié » ou « d’amour », ni de « fraternité », ni de « sympathie », ni « d’inclination » qui seraient objectales. En tout état de cause cela créé un éprouvé de véritable « intimité » qui n’est pas à proprement parler un « affect » au sens freudien. Intimité qui découle du fait que l’on a été témoin et acteur de ce processus de la pensée du Penser où successivement chacun a été pour l’autre tour à tour en position subjective puis moïque. Avant que ce processus divertissant ne nécessite plus de référent et s’internalise totalement. C’est le genre d’intimité que le psychanalyste noue par ailleurs avec ses psychanalysants sur fond « d’affection désaffectivisée ». Au fond il faudrait l’entendre, cette affection, au sens qu’il prend au XIIème siècle pour saint Bernard qui le définit comme « un mouvement qui porte l’âme vers une autre âme ». Bien sûr la connotation que je lui donne dans le cadre de la psychanalyse structurale fait l’économie du concept théologique d’âme. Vous l’avez bien compris, il faut substituer au concept d’âme celui de « Sujet ». La définition de saint Bernard devient alors « un mouvement d’une instance subjective adressé à une autre instance subjective ». J’en conviens c’est assez difficile à assimiler si on n’est pas psychanalyste. Mais cet éprouvé est le ressort psychique de ce que je nomme lien social. Et c’est cet éprouvé que nous adressons à nos analysants pour attester qu’il y a du Sujet dans cette rencontre improbable qu’est la cure psychanalytique. Dans les cures ordinaires cette intention d’affection cesse quand elles se terminent. Sans doute parce que cet éprouvé d’affection, à lui adressé, n’est nécessaire au psychanalysant pour mener la cure à bonne fin. Elle n’est pas réciproque. Sa cure, comme son psychanalyste sont voués à l’oubli. Radical. Tout juste y‑a-t-il reconnaissance d’intersubjectivité au moment de l’adieu. Mais parfois cela dure avec certains devenus psychanalystes. Parfois mais pas toujours. Sans doute parce que cet éprouvé d’affection est alors réciproque et durable. Elle s’avère hors du temps chronologique. Je dirais, intemporelle, cette reconnaissance se noue de la nécessité d’une pensée du penser la psychanalyse. J’y reviendrai quand j’aborderai (enfin !) la question de la psychanalyse en extension et cette histoire de toujours présent maintenant dans le collectif. Cela peut paraitre utopique mais cela existe… On peut même l’écrire : Ex-Sister dans le collectif. Ecriture qui connote une présence réelle (subjective) sans relation objectale.
Donc il n’y a pas eu de psychanalyse originelle et ni Freud, ni Lacan, n’étaient psychanalyste au sens où je l’entends. Mais Freud avait le don, il avait le génie, de percevoir ce que personne n’avait perçu avant lui : la nécessité d’une certaine relation duale pour que quelque chose puisse permettre la restructuration de l’appareil psychique. Evidemment c’est moi qui le dis comme ça. Lui y voyait une nécessité construire une situation expérimentale. Mais au fond, il reconduisait, en l’épurant (c’est ainsi qu’il entend la neutralité promue dans la cure) la relation dont il avait fait l’expérience avec Breuer d’abord, avec Fliess ensuite et enfin avec Jung et Ferenczi. Comme si, à travers ses expériences relationnelles professionnelles, il avait pressenti la fonction et la finalité de cette aptitude d’Homo Sapiens à l’affinité élective nécessaire à finalisation de la structuration de la réalité psychique. C’est-à-dire pour l’énoncer dans mes termes, comme nécessité pour que se produise et se structure une pensée réflexive à partir d’un penser stochastique, sans entrevoir que cette dynamique duale interpersonnelle renvoyait à une autre dualité, intra psychique celle là (Sujet /Moi), et permettait son autonomie. A savoir l’accès à l’autonomie psychique. La dynamique duale interpersonnelle précède et permet l’aboutissement de celle intra psychique qui signe l’autonomie psychique. Dans le meilleur des cas, c’est-à-dire rarement. Le plus souvent elle permet, comme on l’a vu précédemment, de bricoler tant bien que mal des processus de survie, plus ou moins pathologiques, à deux. Pour que cette autonomie psychique s’opère au travers de la réalisation de cette aptitude il faut que la structuration de l’appareil psychique des deux protagonistes ait atteint la phase de mise en place terminale de la dynamique Moi/Sujet et que les instances substitutives soient dissoutes. Reste tout de même que la trouvaille de Freud (qu’on peut considérer comme décisive pour la cure), c’est que cette aptitude à « l’affinité élective », il l’identifie et la singularise pour en faire un dispositif thérapeutique spécifique symbolisé par la disposition spatiale divan/fauteuil. Mais il rate, d’une certaine manière, l’essentiel de cette configuration structurale fondée sur une asymétrie topique irréversible (Sujet /Moi) qui constitue sa caractéristique essentielle. Le dispositif divan /fauteuil l’actualise. Freud remplace une asymétrie topique en une dissymétrie. En effet, il considère implicitement que la cure s’effectue entre deux instances moïques. L’une effective celle du psychanalyste ; l’autre, supposé en souffrance, celle du psychanalysant. Ce qui est déjà douteux. Dans ce contexte dual, dissymétrique d’où il exclut, grâce à la règle fondamentale, le dialogue et l’échange (jusqu’à un certain point), il assigne de facto au psychanalyste la place de « supposé savoir » (dont il est bien difficile de se déprendre, encore maintenant, malgré les efforts de Lacan). Le psychanalyste est supposé savoir ce qu’il en est du décryptage de l’Inconscient aussi bien que dans la manière de procéder, dans le transfert, pour faire « prendre conscience ». C’est un premier pas mais notoirement insuffisant pour qu’il y ait véritablement cure psychanalytique. Car ce qui est organisé de manière pseudo asymétrique (dissymétrique) phénoménologiquement, ne l’est pas d’un point de vue structural métapsychologique. En tout cas dans le cadre de la métapsychologie structurale. Freud instaure seulement une dissymétrie supposée moïque dans la cure. C’est-à-dire qu’il met en scène deux protagonistes en position moïque. En termes lacaniens : comme deux « petit autre » en miroir. Le psychanalyste freudien se positionne dans la séance du point de vue de son Moi qui écoute, investigue et interprète alors que le psychanalysant y serait avec un Moi « dysfonctionnant ». Mais un « petit autre » qui en sait plus, grâce à la théorie psychanalytique, que le « petit autre » installé sur le divan. L’asymétrie est donc bien factice puisqu’aussi bien il s’agit d’une dissymétrie moïque. D’autant que, d’un autre coté, la structuration de la cure telle que Freud l’imagine est fondée sur la présence d’une véritable instance moïque chez le psychanalysant. Il ne postule pas, comme j’en fais l’hypothèse, que dans une cure psychanalytique on n’a pas à faire chez le psychanalysant à une instance moïque advenue mais à une mosaïque d’instances substitutives. Le postulat implicite de la cure freudienne c’est qu’elle s’adresse à une instance moïque empêchée par la névrose. D’où la caricature des psychanalystes américains qui s’allient Moi fort (bon) contre le Moi faible (mauvais) de leurs patients. Conception d’où est issue la théorie du « self ». D’un coté on aurait pour le dire de manière caricaturale, le Moi du psychanalyste, sûr de lui comme de l’univers (et dominateur… !) et de l’autre le psychanalysant affublé d’un Moi inconsistant cause de déséquilibre, d’inadaptation et de souffrances dus aux prétendus conflits pulsionnels refoulés qu’il est incapable de réguler. Il ne pouvait en être autrement puisque la dimension topique du Sujet, dans la métapsychologie freudienne, était inexistante. Aussi dés que le psychanalyste freudien ouvre la bouche, alors il est à même enseigne que le psychanalysant : il mythologise. Il mythologise comme son psychanalysant mais avec une mythologie structurée « académiquement » qui se présente comme une vérité « scientifique ». Comme je vous l’ai rappelé à plusieurs reprises, le psychanalyste archéo freudien est dans la même position que l’ethnologue pré structuraliste qui « interprète » les récits des informateurs autochtones à l’aide de ses propres convictions idéologiques occidentales. C’est dire qu’il est, quoique croyant interpréter, en position de suggestion persuasive dans l’espoir de transformer une mythologie réputée pathologique en une autre réputée scientifique. Avec l’illusion que cette transformation mythologique fera guérir. Dans ces conditions, symétriques, il est tout à fait possible que, comme Dora, le psychanalysant ne se laisse pas suggestionner malgré le fait que le psychanalyste soit positionné comme supposé savoir et dés lors qu’il lui préfère (et qu’il tient à) sa propre mythologie qui lui permet (au moins) de survivre !
Je n’en dirai pas autant de la cure telle qu’elle semble être protocolisée par les psychanalystes lacaniens après Lacan. Il semble que lui aussi ait pressenti qu’il faille instaurer une véritable asymétrie entre la position du psychanalyste et celui du psychanalysant. Encore que cela ne soit pas aussi clair et qu’en tout état de cause il y échoue. Ce qui semble acquis, en revanche, c’est que la cure prend, pour les lacaniens, une dimension d’expérience « d’inter-subjectivité ». Ce qui est un progrès en quelque sorte. Mais l’hypothèse que je soutiens s’inscrit en faux contre le fait que cette possibilité d’intersubjectivité immanente soit ce qui structure la cure. En effet l’absence, ou la carence, de subjectivité chez le psychanalysant n’est, alors, pas prise en compte. Or, pour moi, la cure se structure justement autour de cette absence ou de cette carence. La cure, pour Lacan, « se déroule toute entière dans ce rapport de Sujet à Sujet ». La ruse de balayeur de Lacan consiste à parler de « rapport » et non de « relation ». L’hypothèse selon lui serait qu’il y aurait d’emblée du Sujet désirant mais que ce désir subjectif serait occulté et empêché par les dysfonctionnements moïques pathologiques. Mais ce n’est pas pour autant qu’il élimine le phénomène transférentiel. Il en opère une désaffectivisation et le présente comme un automatisme de répétition. Il va même jusqu’à le qualifier comme « un besoin spécifique et transcendant ( !) de répétition ». Dans son Intervention sur le transfert[5], il précise : « le transfert ne ressort à aucune propriété mystérieuse de l’affectivité et même quand il se trahit sous un aspect d’émoi celui-ci ne prend son sens qu’en fonction du moment dialectique où il se produit ». Toute chose qui pourrait être intégralement reprise dans le cadre de la psychanalyse structurale.
Mais là où la psychanalyse structurale et la position de Lacan divergent, c’est dans l’origine de la répétition réputée transférentielle. Pour Lacan ce qui est en jeu dans les conduites répétitives qui envahissent la cure à un certain moment (dialectique dit Lacan) c’est le manque et la quête objectale irrépressible que ce manque déclenche et fait perdurer pour échouer à le combler. C’est alors que les choses se gâtent puisque Lacan considère que le moteur de la répétition et du transfert est la réintroduction subreptice de la pulsion, et donc de l’objet, sous les espèces de la demande d’amour et de reconnaissance qui en sont alors pour lui la raison (et non la cause). En toile de fond desquelles on retrouve la quête d’un objet comblant mais toujours manquant. De surcroit ce recours réintroduit, du coté de la répétition, la dimension affective et sentimentale là où par ailleurs Lacan affirme s’en déprendre. Si on suit cette élaboration il faut entendre que l’incapacité à effectuer une relation objectale qui constitue le socle de la névrose, se manifeste sous la forme synecdotale du manque d’objet d’amour ! Alors nous serions dans cette configuration assez incongrue où, parce que le transfert se noue autour d’un manque supposé d’un objet d’amour constant qui affecte l’instance subjective du psychanalysant puisque, chez Lacan, la cure se structure d’une rencontre de Sujet à Sujet. Il y aurait alors, au gré de la répétition, une manière d’histoire d’amour « subjective » déçue entre ces deux protagonistes ! Ce qui est assez farce.
C’est tout au moins ce qu’on peut extrapoler de la lecture du Banquet de Platon que Lacan propose dans le séminaire VIII Le Transfert. Séminaire où il fait apparaitre une dissociation dialectique entre celui qui aime « Érastes » (l’amant = le psychanalysant) et celui qui est aimé « Éromenos » (le psychanalyste). Le prototype de ce phénomène est l’amour qu’Alcibiade porte à Socrate. Il y aurait chez ce dernier un « agalma » (quelque chose d’éblouissant ou encore du point de vue lacanien un objet « a » éblouissant) qui déclencherait le fantasme amoureux d’Alcibiade. Agalma propre, donc, à combler le manque (d’amour) chez le psychanalysant. On est là dans une variante philosophique de la problématique transférentielle œdipienne de Freud. A ceci près que le psychanalyste ne se laisse pas prendre et enfermer dans cette position que lui assigne le psychanalysant. Mais là où Freud réintroduisait la symétrie moïque dans le colloque psychanalytique de la cure, Lacan réintroduit la même symétrie mais au niveau « subjectif ». Déplacée du Sujet au Sujet. Outre que le Sujet du coté psychanalysant ressemble furieusement à l’instance moïque par ces manifestations affectives et sentimentales puisqu’il répète la figure objectale de l’aimant (séduit, rejeté et abandonné). En effet, métaphoriquement la situation des protagonistes de la cure est semblable à ce qui se trame entre Socrate et Alcibiade. Alcibiade tente à tout prix de se faire aimer de Socrate qui n’a aucune réciprocité de sentiment amoureux à son égard. Et aussi de séparer Agathon, aimé de Socrate, de ce dernier. Socrate n’a de cesse que de déjouer ses manœuvres. Là encore, si on s’en tient à cette disposition, il y a dissymétrie d’envie objectale pour le dire dans mes termes, mais non pas topique. Alcibiade est considéré comme Sujet aussi bien que Socrate. Pourtant ce qui concerne leurs « sentiments », cette part affective présentée par Alcibiade, concerne bien plutôt son instance moïque. On réduit encore la répétition du coté de la phénoménologie spécifique de l’hystérie. Comme chez Freud. Ce qui est fâcheux. Pour ce qui me concerne, la répétition n’est pas la conséquence d’une carence objectale, un manque d’objet comblant (l’agalma chez Platon, l’ambigu objet petit « a » chez Lacan), mais un manque subjectif à Ex-Sister. Lacan comme Freud tombent dans le panneau de la mythologie hystérique qui déplace, dans sa tentative de rendre compte de cette carence, l’impossibilité à Ex-sister, du coté d’un manque d’objet (d’amour) qui nourrit l’insatisfaction. Comme je le dis, nul objet, jamais, ne comblera l’absence d’Ex-Sister. Ce qui se répète dans la cure est un dispositif de survie dont la cause est la carence de l’éprouver d’Ex-Sister.
Dans la conduite de la cure Lacan, lui, et après lui les psychanalystes lacaniens, a tenté de réintroduire une asymétrie artificielle qui se résumerait schématiquement à une non réponse irréductible (socratique) à la « demande » (d’amour) du psychanalysant. Manière de réintroduire une intégrité oppositionnelle de la position subjective du psychanalyste vis-à-vis de la répétition de la demande d’amour de son psychanalysant. Le psychanalyste est alors contraint à une position défensive comme Socrate vis-à-vis d’Alcibiade. Empêcher en quelque sorte de pouvoir conduire la cure autrement qu’en opposant une attitude de marbre à ce qui est perçu comme une demande irrépressible d’amour. Car tout ce qui se trame dans la cure, quand advient ce que les archéo-freudiens et lacaniens nomment névrose de transfert, peut-être suspecté d’être directement ou indirectement une « demande d’amour ». En 1972, dans le séminaire « Ou pire » (le séminaire de janvier où Jacobson devait intervenir et où il n’est pas venu), il y a implicitement une explication, si je puis dire, de ce qui pourrait être la position du psychanalyste et du psychanalysant. Avec une inversion de ce que ce dernier met en scène (la quête de l’amour). Tout se passerait comme si le psychanalysant, dans le transfert, intimait au psychanalyste d’entendre à l’inverse « je te demande de me refuser ce que je t’offre, parce que ce n’est pas ça ». Qui justifie l’impassibilité imperturbable et le silence toujours reconduit du psychanalyste lacanien. Ce qui est supposé, dans cette formule, ce serait que le psychanalysant (sur le modèle hystérique) saurait, sans le savoir, que cette demande suscitée par l’agalma est illusoire et qu’il assigne au psychanalyste de ne pas lui faire de retour sur cette demande d’amour. Lacan parlait, à un certain moment, de la pratique de « l’esquive » que le psychanalyste devait manier. Sans doute voulait-il dire qu’il fallait éviter la confrontation des mythologies psychanalytiques et des mythologies individuelles dans le cadre de la cure. Ou, pour le dire autrement, il répugnait à substituer le savoir (mythologique) psychanalytique à celui des mythologies personnelles du psychanalysant substratum de la répétition dans la cure. Ou encore de recourir à la suggestion que toute interprétation sous tend. D’où la pratique, considérée comme incongrue par les archéo-freudiens orthodoxes, de la séance courte, de la scansion comportementale du dit du psychanalysant et toutes autres initiatives qui permettent de faire l’économie d’un dire interprétatif véritable (c’est-à-dire suggestif). Toute chose qui évite de manier la langue et seule manière de refuser de présentifier et d’incarner ce qui pourrait en être du Grand Autre (autre figure du supposé savoir) dans le protocole de la cure. De fait, cette position d’évitement, quoiqu’on en veuille, le fait apparaitre en absence ou en négatif comme la statue du commandeur dans Don Juan. Son désarroi concernant la conduite de la cure et son questionnement sur le pourquoi certains psychanalysants guérissent rappelé dans les séminaires précédents, confirme, si besoin était, que rien de ce qu’il avait élaboré, à ce moment de sa vie et de son œuvre, ne lui paraissait fonder en théorie. L’aveu ou la prise de conscience implicite du fait qu’il n’est pas psychanalyste, c’est à ce moment que cela parait. Reste tout de même que son intuition de ce qui se joue dans la cure, se trame autour de la question de la subjectivité et du Sujet. Mais l’hypothèse implicite qui fait tout échouer est que cette subjectivité est, pour lui, présente chez le psychanalysant et que la névrose l’entrave et lui interdit de s’actualiser. Cette hypothèse d’inter subjectivité est sans doute insuffisante pour opérer techniquement dans la cure. Car la symétrie transformée en dissymétrie, qu’elle soit moïque comme chez Freud ou subjective pour Lacan, entraine un fourvoiement et une imposture dans la conduite de la cure. Symétrie (fut-elle dissymétrique) implique toujours réversibilité. Et la réversibilité met la cure dans l’impasse.
Cette intuition, Lacan a aussi tenté de la théoriser dans un autre protocole. Non pas celui de la passe, avec son histoire inepte de jury, mais du cartel. Comme je l’indiquais précédemment on peut penser que cette histoire d’institution de la passe est un acte manqué lacanien au sens où les prétendus psychanalystes, et donc Lacan, attendent du psychanalysant qui est dans la passe de leur révéler de quoi se constitue le désir du psychanalyste, c’est-à-dire le leur ! C’est l’aveu au mieux qu’ils n’en savent rien. Au pire qu’ils doutent de ce qui les a constitués psychanalystes. Si on pousse la logique qu’ils ignorent en quoi consistent leur position et leur acte dans la cure.
Cette intuition qu’est le cartel a manqué à être véritablement comprise. En 1964 Lacan fait cette proposition concernant la singularité que devrait avoir un groupe de recherche théorique pour les psychanalystes. Elle est réactivée en 1980 au moment où il parraine « l’Ecole de la Cause ». Voici comment elle s’énonce à cette époque, quoique je ne sois pas sûr que cet énoncé soit de la plume de Lacan. Elle ressemble à une parodie, sans humour, écrite par J‑A Miller. L’esprit de sérieux est le propre du philosophe. Mais au demeurant, il n’est pas inintéressant, aujourd’hui, de s’y référer. D’abord parce que les principes qui le fondent sont largement oubliés. Surtout à Espace quoiqu’on y consacre annuellement une journée. Reste qu’il y avait là une intuition de la position que le psychanalyste pourrait avoir dans le collectif. Je vous les cite :
« — Premièrement quatre se choisissent pour poursuivre un travail qui doit avoir son produit. Je précise produit propre à chacun, et non collectif.
- Deuxièmement la conjonction des quatre se fait autour d’un « plus un » qui, s’il est quelconque, doit être quelqu’un. A charge pour lui de veiller aux effets internes de l’entreprise et d’en provoquer l’élaboration.
- Troisièmement pour prévenir l’effet de colle, permutation doit se faire, au terme fixé, d’un ou de deux ans maximum
- Quatrièmement, aucun progrès n’est à attendre sinon d’une mise à ciel ouvert périodique des résultats comme des crises du travail »
Il y a là aussi un semblant d’asymétrie entre le « plus un » et les autres. Mais cette histoire de permutation dément et laisse entendre qu’il y a là encore un insu théorique. Tout se passe comme si Lacan tentait de subvertir ce que j’ai théorisé comme étant des affinités électives sans pouvoir en comprendre la clé. De fait, le plus un devrait avoir dans cet agencement social, comme dans la cure le psychanalyste, une position radicalement subjective perturbatrice (stochastique) alors que les trois seraient en position d’élaboration et de production moïque. Réflexive pourrait on dire. D’ailleurs on pourrait s’interroger sur le pourquoi Lacan s’est arrêté au nombre de quatre. On pourrait arguer que pour qu’il y ait du collectif il faut être trois. Mais pourquoi ajouter, comme au bridge, un quatrième qui tient la place du Mort ? Peut-être justement pour empêcher qu’il y ait une double dualité et reconstitution d’affinité élective permutable (comme chez Goethe). Avec, de plus, l’illusion qu’il pourrait y avoir de l’innovation collective à défaut de progrès. Reste que telle que défini par Lacan, le plus un n’est pas vraiment en position subjective. Si on s’en tient à la lettre du deuxièmement il est en charge de régulation moïque et garant qu’un « travail s’élabore » bien plutôt que de représenter un Sujet. Ce que Lacan essaie tout de même de préserver dans la cure où le psychanalyste est indéniablement dans une position subjective qu’il maintient tant bien que mal grâce à des contorsions comportementales et orales bien peu « naturelles ». Dans le cartel le plus un « veille aux effets internes de l’entreprise et d’en provoquer l’élaboration ».Deux positions en une, ce qui est proprement contradictoire. C’est ou l’une, la position subjective du Penser stochastique « provoquer l’élaboration », ou l’autre, la position moïque de l’actualisation de la pensée productive raisonnante qui « veille aux effets internes de l’entreprise ». Et il est illusoire de croire que le jeu de tric trac de la permutation peut pallier cette impossibilité. Il faut s’en convaincre, le cartel est un rituel propice à l’exégèse. Pas un dispositif. On peut penser le travail de recherche en psychanalyse autrement.
CONCLUSION
Si on voulait résumer et schématiser on pourrait dire que le protocole de la cure n’est pas une innovation véritable de Freud. Encore moins une découverte. C’est une invention à partir de cette nécessité phylogénétique de nouer, à certains moment de la structuration de l’appareil psychique, une relation duale sur le mode de l’affinité élective où s’actualise la dynamique encore inaboutie de l’instance subjective et de l’instance moïque qui précède l’autonomie psychique définie comme l’accès à la capacité de la pensée du Penser (inconscient) sans qu’il y ait nécessité d’un autre, petit autre ou grand Autre dans les termes lacaniens. Autonomie psychique qui permet le divertissement comme capacité à l’adaptation permanente. Freud et Lacan manquent ce que je nomme une asymétrie pour subvertir cette aptitude à l’affinité élective où les positions moïques et subjectives sont réversibles. Aussi, le protocole auquel ils aboutissent n’est que partiellement pertinent. Si cela favorise et anticipe la production stochastique (inconsciente) grâce à la règle fondamentale à partir de laquelle s’opère la construction dans la cure, il est dans l’incapacité théorique de définir la position du psychanalyste hors de la relation commune. Pour Freud les deux protagonistes, le psychanalyste et le psychanalysant, sont tous deux dans le registre moïque. En proie, dans ma conception, aux effets de la constellation moïque pour le psychanalysant dont il fera le déplacement dans le cadre de la cure. L’asymétrie qui est le ressort de l’efficacité de la cure psychanalytique, est réduite au fait que le psychanalyste doit être « neutre et laïc ». Ce qui n’est pas opérant. Chez Lacan on se trouve dans une situation similaire mais où les deux protagonistes seraient en situation subjective. L’hypothèse implicite est qu’il y a Sujet dés qu’il y a appareil psychique parce qu’il y a agressivité. Cette interprétation de la position lacanienne se vérifie en fait dans le système de transformation que constituent les quatre discours. En position subjective réelle pour le psychanalyste (encore que…). En position subjective empêchée pour ce qu’il en est du psychanalysant. La neutralité et la laïcité du psychanalyste lacanien confine à l’indifférence et parfois au non agir intégral. Bien évidement il ne s’agit pas d’une indifférence (subjective) engagée telle que je la théorise, ou alors incomplètement. Je considère que cette indifférence engagée doit être naturelle. C’est une nécessité si on veut éviter le colloque symétrique moïque tel qu’il s’avère dans la cure freudienne. Et, partant, la déviance du psychanalyste en supposé savoir. Elle permet de s’abstraire de l’hypothèse de symétrie subjective induite par Lacan, si tant est que l’on considère que tout psychanalysant amène en psychanalyse la conflictualité de ses instances supplétives moïques. Et qu’on fait l’hypothèse que cet état de fait découle justement d’une carence métapsychologique avérée de la subjectivité. Ce qui précède permet de préciser en quoi cette indifférence est an-objectale (à entendre aussi dans le sens que l’autre n’est pas un objet de la cure). Elle est tempérée par cette « reconnaissance » anticipée par le psychanalyste d’une possibilité de subjectivisation pour celui qui s’adresse. Reconnaissance non dénuée de cette catégorie particulière d’affection dont j’ai essayé de préciser le contenu.
Dans la cure structurale, l’asymétrie est donc radicalisée dans la mesure où il n’y a jamais réversibilité de position. Le psychanalyste tient « naturellement » cette position subjective durant toute la durée de la cure. C’est cette position naturelle subjective qui autorise l’indifférence engagée non exempte d’affection. Et si on veut faire une concession à Lacan, on peut évoquer qu’il y ait entre le psychanalyste et le psychanalysant une intersubjectivité possible à la fin de la cure. Ou bien plutôt une reconnaissance d’intersubjectivité possible. Mais cela ne dure, la plupart du temps, qu’au moment de conclure la cure. Instant bref donc et très éphémère. Il n’y a, en fait pas d’intersubjectivité, au sens lacanien, dans la cure elle même. C’est en cela que réside la subversion de cette aptitude fonctionnelle à l’affinité élective duale. A savoir transformer la réversibilité des positions moïque et subjective en une irréversibilité irréductible entre le psychanalyste et le psychanalysant. Et c’est à partir de cette subversion que la cure peut aboutir à la restructuration de l’appareil psychique. Alors que dans la vie quotidienne, comme on l’a vu antérieurement, l’actualisation de la constellation moïque déclenche, quand ni l’un ni l’autre des protagonistes n’est en position réellement subjective, une relation pathologique à deux, de dépendance orpheline ou de soumission. La configuration asymétrique que je viens de décrire permet de relancer l’auto organisation psychique. Et cette configuration asymétrique trouve sa représentation et son actualisation dans le dispositif divan/fauteuil. Où le psychanalyste se trouve hors du regard du psychanalysant de telle sorte de signifier qu’il n’y a pas de relation objectale entre eux. Pas plus que de colloque moïque intellectuel ou affectif. Dans cette perspective où le psychanalyste incarne cette position subjective intégrale, toujours présente maintenant, le psychanalysant peut s’autoriser à l’expression dans sa langue des avatars conflictuels que ses instances supplétives non liquidées engendrent sans risque de reproduction répétitive de déboucher sur une relation pathologique à deux comme dans la réalité sociale. Reste que si ordinairement il n’y a jamais de relation intersubjective proprement dite dans le colloque interpersonnel ordinaire, on peut tout de même penser que l’illusion lacanienne d’intersubjectivité entre psychanalystes peut s’avérer entre psychanalystes d’obédience structurale. A certaines conditions, car si elles n’étaient pas remplies on tomberait à nouveau dans « intersubjectivité relationnelle ». Ce qui serait une contradiction dans les termes. Dans cette intersubjectivité d’un genre nouveau il y aurait autonomie psychique radicale, non dénuée pourtant d’affection, mais vectorisée, par exemple, par la nécessité d’acter quelque chose de la transmission dans le collectif de ce qu’il en est, dans la réalité psychique, du subjectif et de ses conséquences. Ce qui n’est pas gagné d’avance.
Quand j’évoque que la position subjective intégrale est naturelle, il faut entendre qu’elle ne ressort pas d’un comportement voulu et appris. Elle est la conséquence de ce qu’on repère comme étant l’actualisation du « désir du psychanalyste ». Ou bien plutôt du désir de psychanalyser. Sans pour autant qu’on sache de quoi ce « désir » de psychanalyser advient au psychanalysant. On a dit qu’il n’était pas réductible à une envie. Ce serait, en d’autres termes, un divertissement subjectif. Mais jusqu’à présent on a rien dit sur le pourquoi il advient. Il est vrai que force est de constater, et ceux qui ont eu le courage de me lire ou de m’entendre pourraient en attester, que l’objectif que je m’étais fixé à l’origine de ma recherche parait être atteint. En effet, il me semble que la psychanalyse structurale répond (parfois même de manière élégante !) aux interrogations que Lacan se posait dans la fin des années 1970 :
- Qu’est ce que l’Inconscient ?
- Qu’est ce que la névrose et dans les névroses qu’est ce que l’hystérie ?
- Qu’est ce que la psychose ?
- Qu’est ce que la guérison ?
- Pourquoi certains quidams s’adressent en psychanalyse et que certains autres non ?
- Quelle différence entre psychothérapie, même psychanalytique et psychanalyse ?
- Qu’est ce qui fait guérir ?
Il faut bien dire que ce n’était guère sorcier ! Il suffit de bons présupposés et d’un modèle théorique consistant. Et de renoncer aux mythologies indo-européennes dégradées et à celles des pulsions. Mais, il y a une question à laquelle je n’ai pas véritablement répondu. En tous cas pas explicitement :
- « Qu’est-ce qui vient dans la boule de quelqu’un pour s’autoriser psychanalyste ? »
Ce n’est pas fortuit qu’il faille que l’articulation de la réponse à cette interrogation intervienne seulement maintenant dans le cours de ce séminaire. A mon sens il ne pouvait en être autrement. En effet, il me semble logique que cela arrive après que l’on ait abordé et résolu, d’un point de vue théorique, ce qu’il en est des deux dispositifs que constitue le protocole de la cure. Il fallait rendre compte du bien fondé théorique, au regard de la théorie psychanalytique structurale, du protocole que nous a transmis Freud et qu’on reconduit avec une confiance aveugle. C’est pour cela que je me suis autorisé à faire retour sur ses origines phylogénétiques en évoquant le phénomène universel d’affinités électives et la fonction qu’elles ont dans la maturation de l’appareil psychique. Et comment et pourquoi Freud s’en est emparé en le radicalisant imparfaitement. Et Lacan après lui. Mais il faut bien reconnaitre que dans cette radicalisation, quoiqu’imparfaitement aboutie, il y avait une intuition subversive. Intuition subversive que j’ai tenté à mon tour d’expliciter et de théoriser à partir du présupposé d’auto-organisation psychique. La cure opère parce qu’elle est fondée sur un processus auto-organisationnel général dans le monde du vivant, qui lui préexiste, et sur celui d’affinité élective reconnu comme universelle chez Homo sapiens, qui actualise ce processus à un certain moment de la structuration de l’appareil psychique. C’est sur ce double postulat que j’affecte à la cure cet objectif de relance du processus auto organisationnel psychique. Le protocole de la cure à partir de la règle fondamentale et de cette aptitude acquise d’affinité élective subvertie, assure et permet cette relance. Subvertie par le fait de modifier son effectuation dans le sens où il n’y a pas dans la cure de réversibilité de position subjectivo-moïque comme dans la vie. Ce qui est déterminant. Il inaugure quelque chose (un rapport) qui n’est pas une « relation » psychologique. Un colloque, comme on dit, ni intellectuel ni affectif. Dans la cure on n’échange rien.
Mais la condition pour que ce protocole opère est que le psychanalyste soit « naturellement » en position subjective radicale. Et c’est à partir de « ce naturellement » qu’il faut partir pour théoriser ce qu’il en est du désir du psychanalyste. C’est fondamental. Car cela suppose, entre autre, que cette position subjective du psychanalyste n’est pas acquise par apprentissage. Elle découle d’une capacité disons structurelle, c’est à dire métapsychologique. On s’en était empiriquement aperçu. Car il est apparu que pour tenir cette position, il était nécessaire d’entreprendre soi même une psychanalyse. Réputée, à un certain moment, didactique. C’est liminaire mais pour autant cette exigence (qui n’en n’est pas une) n’a jamais été véritablement théorisée. On se contentait d’évoquer qu’ainsi on évite, alors, la persistance des mécanismes de défense mis en jeu dans toutes les professions où on est censé aider, soulager, soigner, guérir son semblable. En particulier tenter de guérir chez les autres ce qu’on n’arrive pas à soigner chez soi. Mais pour ce qui me concerne cela ne semble pas suffisant comme raison. Souvent d’ailleurs dans les cures menées à bonne fin, cette velléité d’aider, soulager, soigner, guérir disparait totalement. Mais pas toujours. Et c’est ce « pas toujours » qui interpelle. Qu’est ce qui fait qu’on persévère à s’engager à guérir au point d’aspirer alors à prendre la position de psychanalyste ? Sans doute, justement, ce n’est pas l’envie d’aider, soulager, soigner, guérir qui fait ce désir de psychanalyser. Quoique bien évidement guérir est tout de même la finalité d’une cure psychanalytique. Mais comme l’avait relevé finement Lacan : « la guérison advient de surcroit ». C’est dire qu’il y a une autre passion qui pousse à la perpétuation de l’Acte. Freud avait une intuition quand il déclarait que le psychanalyste ne pouvait conduire la cure de ses psychanalysants que là où il en était de son organisation de son appareil psychique. Comme Lacan, il en savait quelque chose, étant donné l’absence de psychanalyse dont ils ont, l’un et l’autre, bénéficié ! Encore que cela ne soit pas exact : malgré eux les psychanalystes peuvent mener leurs psychanalysants là où ils n’ont pas été, grâce au protocole (quoique imparfaitement théorisé) de la cure. C’est dire qu’il y aurait une « cause » et non pas des raisons défensives, qui détermine ce qu’il est convenu d’appeler le « désir du psychanalyste ». Et cela n’est pas dans la boule du psychanalysant que cela s’avère (comme une idée folle du genre : si qu’on disait que je serais psychanalyste) mais dans la structuration même de son appareil psychique dans sa phase terminale. C’est la seule hypothèse un peu construite à partir de laquelle on peut tenter de répondre à cette question.
Merci de votre attention,
Marc Lebailly
[1] Les Essais De L’amitié. On lui faisait le reproche de sembler parler de lui dans son ouvrage. Ce qui à l’époque n’était pas bien vu.
[2] Manuel de psychiatrie H.Ey, P.Bernard, Ch. Bresset Pages 74 à 76 éd Masson
[3] Remémoration, répétition, perlaboration
[4] Le Petit poisson et le pêcheur La Fontaine
[5] Jacques Lacan, Ecrits, Editions du Seuil, p215-226, Intervention sur le transfert (1951)
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