L’Acte psychanalytiqueSéminaire du 16 Mai 2020
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PETIT PROLOGUE DE CIRCONSTANCES
Nous allons reprendre après cette séquence d’hystérie collective mondialisée qui n’en finit pas de durer. Hystérie déclenchée par une angoisse de mort généralisée et entretenue sur le mode régressif de la survie. Ne croyez pas que je minimise la dangerosité du virus, la réalité de la pandémie, le risque encouru par certains. Ils sont réels et toujours actuels. Ce n’est pas une raison pour céder à cette dramatisation planétaire délétère. La réalité c’est que l’espèce humaine, depuis que Sapiens est Sapiens, a déjà vécu de telles situations antérieurement. Nous avons l’expérience et le savoir épidémiologique pour nous permettre d’aborder rationnellement cet état de fait, au lieu de cela le savoir médical est détourné pour alimenter la dramatisation. Ces réactions en disent long, à la fois du point de vue psychanalytique, mais aussi ethnologique, sur les rapports que dans nos sociétés dites « modernes » (il n’y a pas, d’un point de vue ethnologique, de société moderne, puisqu’il n’y a pas de « progrès » dans la culture) nous entretenons avec la maladie et la mort. Tout se passe comme si elles étaient fondées sur la croyance qu’elles pourraient êtres éradiquées à tout jamais. Idéalement. Comme toutes croyances elles se fondent sur cette mythologie plurimillénaire de la maitrise productive qui serait l’apanage de l’espèce humaine sur tout l’environnement. Et la quintessence de cette maitrise ultime est de vaincre la mort. Aujourd’hui, cela fait flores explicitement. Il ne s’agit plus simplement d’une sacralisation de la vie quand elle demeure, mais d’une finalité technologique anti-mort. On en vient même à concevoir la guerre sans blessés ni morts. Ce qui est à la fois absurde et contradictoire. Mythologie de la maitrise démiurgique de toute chose. Ce n’est pas sur la même mythologie que les sociétés de chasseurs-cueilleurs, tant bien que mal (plutôt mal !) ont survécues jusqu’à nos jours. Elles sont, elles, fondées sur la symbiose avec l’environnement, ce qui exclut la maitrise. Évidement une certaine médecine s’est mise au service de cette maitrise absolue au service de la guérison de la mort. Elle n’a pu y échapper. Ce qui était prévisible. Reste qu’il y a une autre médecine possible qui échappe pour partie à cette pseudo dérive scientifique. C’est la médecine hippocratique. Soulager sans nuire, mais pas seulement. Médecine de la Santé et du vivant contre médecin de la « guérison de la mort ». Cette médecine hippocratique est tout aussi scientifique et efficace. Seul l’esprit change. Et cet Esprit est compatible avec celui de la psychanalyse structurale. En tout état de cause, elle n’est pas incompatible avec l’humanisme psychanalytique tel que je vais tenter ultérieurement de le définir.
Ces problématiques de la guérison et de la mort sont des thèmes que je vais aborder dans ce séminaire. Encore faut-il préciser qu’il a été pensé et écrit bien avant l’irruption de l’épidémie.
Une dernière remarque avant de commencer. Nous aussi, nous n’avons pas échappé aux effets de dramatisation de groupe. Est-ce à dire que la passion pour la psychanalyse a été mise entre parenthèses ou suspendue par cette contamination qui fait effet de groupe ? Sans doute pas totalement…mais quand même ! Évidement, on peut toujours se dire que nous y avons sacrifié par attachement civique aux principes de la cité. Il est vrai que rien ne nous autorise à y déroger ; et qu’on ne peut y faire exception. Après tout Socrate a bien bu la ciguë pour obéir aux décisions prises par la démocratie directe athénienne. Conséquence autrement plus exigeante ! Mais je n’en suis pas totalement persuadé. Les effets de groupe nous ont bel et bien atteints, quoiqu’on puisse tenter de se raconter. Ce qui interpelle. On peut s’interroger de savoir pourquoi nous avons cédé à cette contamination. Serait-ce que la passion pionnière nous aurait désertés ? Il me souvient d’un passage de l’histoire de la psychanalyse où Jones évoque une réunion de psychanalystes autour de Mélanie Klein, au début des années 40 pendant le Blitz, alors que ce jour-là Londres était bombardé. La discussion était si animée que Jones a été obligé de rappeler à tous les participants qu’il fallait se rendre aux abris. Le temps pionnier est sans doute révolu. Il faudrait m’y résoudre ! Et que je me fasse à l’idée que la psychanalyse, après plus de cent ans de dérive mythologique, en déclin inéluctable et incontestable, n’est plus guère propice aux élans. Peut-être pas totalement pour une infime, très infime minorité, qui entretient une petite flamme…
J’ai écris, réécris, puis réécris encore ce séminaire. Il faut dire qu’il me tient à cœur. Peut-être parce qu’il est crucial pour moi. Cela tient au fait que jamais je n’ai divulgué théoriquement ce qu’il en est du passage du divan au fauteuil…sauf dans l’Acte psychanalytique de certaines cures. Mais ce n’est pas une articulation théorique supposée transmissible dans le collectif.
DE LA LEVÉE DU SECRET DE POLICHINELLE ET DU MYSTÈRE DU DEVENIR PSYCHANALYSTE
DE LA GUÉRISON
Comme il a été conclu lors du dernier séminaire, si on veut pouvoir dire quelque chose de théorique de ce passage du divan au fauteuil, il faut partir de l’hypothèse qu’il y a véritable guérison quand une cure est menée à bonne fin. Pour autant il ne faut pas penser que, du point de vue de la psychanalyse structurale, la « guérison » soit un idéal psychique enviable et/ou un impératif social auquel le psychanalyste croit et sacrifie. Il n’en est rien. Dans cette perspective la « guérison » est une potentialité et une possibilité psychique pour ceux qui s’adressent en psychanalyse sans même que cette adresse, fut-elle authentique, oblige, ceux qui l’éprouvent et la formulent, à y accéder. La guérison n’est pas obligatoire. Une cure peut toujours être interrompue par celui qui s’est adressé ; cette adresse fut-elle authentique. En revanche pour le psychanalyste qui la conduit il y a engagement à la mener à bonne fin. Par ailleurs je vous rappelle que ce qu’on nomme « guérison » n’est qu’un état « modélisé » réputé terminal de structuration de l’appareil psychique. Lequel a peu de chance d’être « naturellement » atteint. Ce qui n’implique pas que ceux qui n’y ont pas accès soient nécessairement « névrosés » comme le soutiennent les psychanalystes lacaniens. Tous névrosés, à des degrés différents, pensent-ils. Dans les hypothèses, qui sont les miennes, cet état terminal de l’appareil psychique a peu de chance épigénétiquement d’être atteint naturellement. Paradoxalement on peut même soutenir qu’il est « normal » que la majorité des Homo Sapiens n’accèdent pas à ce modèle de structuration terminale. C’est un état de fait cliniquement observable. Dans cette perspective, il n’y a véritable névrose, perversion ou psychose, c’est-à-dire « pathologie », seulement quand cet état normal d’inaboutissement de l’appareil psychique se fixe et entraine, parce qu’il ne peut se transformer naturellement, la production d’avatars infinis et divers, identiques entre eux, au prix de souffrances aussi irrépressibles qu’intolérables parfois. Encore qu’il faille être extrêmement prudent quant à la pertinence d’en appeler à la souffrance psychique, fut-elle insupportable ou déclarée telle, comme critère d’un état psychique véritablement pathologique. En effet, et de manière contre-intuitive, ces souffrances déclarées insupportables peuvent avoir une fonction adaptative indéniable. « Normale » pourrait-on dire. Ne croyez pas que je fasse ici l’éloge du masochisme ou du sadomasochisme cher aux archéo freudiens qui attribuent à ces souffrances une vertu de « plaisir » (sexuel) sans doute amer. Il n’y a, dans ce que j’évoque, ni justification du« plaisir libidinal » ni de la « jouissance perverse ». qu’on pourrait attribuer à la souffrance. L’éprouvé de souffrance est, dans cette occurrence, une nécessité pour survivre. Souffrance qui se manifeste sous forme de manifestations d’angoisse directe ou indirecte.
Un philosophe luthérien, Søren Kierkegaard, en fait l’éloge dans un ouvrage intitulé Le concept de l’Angoisse. Selon sa thèse l’angoisse serait, paradoxalement, révélatrice de la grandeur de l’homme et serait inhérenteà la nature de l’existence humaine. Son argumentation est théologique. Elle se fonde sur le dogme protestant de la prédestination prélapsaire qui postule, pour faire simple, que dieu, dans sa toute puissance et son omniscience, ne pouvait ignorer que l’homme transgresserait l’interdiction de la consommation du fruit de l’arbre de la connaissance. Le péché originel d’Adam et d’Eve n’est pas un évènement qui a pour cause leur faiblesse ou leur envie de toute puissance, mais prévu par dieu avant même leur création. En quelque sorte il les a créés coupable, selon l’interprétation luthérienne de Kierkegaard, et ontologiquement en proie à l’angoisse qui atteste de cette culpabilité. Ce qui me fait dire que le luthérianisme n’est pas vraiment schismatique. Les luthériens sont toujours des catholiques « protestants » en extase devant la faute et la culpabilité. D’ailleurs Luther voulait réformer l’église de l’intérieur. Ce qui est impossible. En procédant ainsi, on ne fait qu’opérer une transformation à l’identique. Calvin radicalise, lui, cette histoire de prédestination prélapsaire. Il constate que Dieu, dont les desseins sont insondables, a prévu la chute dans le destin de l’homme. Ce constat est objectif : il ne débouche sur aucune culpabilité donc sur aucune angoisse existentielle. Si on veut réformer une institution, il ne faut pas le faire de l’intérieur même de celle-ci, mais se situer en dehors.
C’est ce que fait Calvin avec la rédaction de son Institution de la religion chrétienne. Il s’oppose frontalement à Rome. Alors il n’y a plus de compromis ni de compromission possible avec la vraie religion. Ce n’est pas tout à fait par hasard que je vous parle de ce schisme calvinien. On peut dire que, d’une certaine manière, il a réussi puisque ses effets, théologiques, mais aussi culturels, ont perduré jusqu’à nos jours. Ils se sont inscrits dans la culture non seulement occidentale, mais aussi dans d’autres cultures. Et fais flores aujourd’hui, en particulier avec le mouvement évangélique mondialisé. S’il a eu ce destin, c’est qu’il a généré une culture paradoxalement laïque qui peut servir de fondamentaux à l’organisation sociale. Car non seulement Calvin a écrit L’Institution de la religion chrétienne, mais il l’a mis en pratique, comme une culture, dans un territoire. Il a mis en œuvre ce qu’il avait pensé dans la réalité sociale. En effet, à partir de cette Institution de la religion chrétienne, il a organisé la République de Genève. République de Genève qui a servi de modèle de gouvernance aux Pays-Bas, à la République de La Rochelle (que Richelieu et Louis XIII annexeront au Royaume de France malgré l’Édit de Nantes) et à la Grande-Bretagne dans la révolution dirigée par Cromwell et plus tard aux États-Unis. Le fait d’avoir mis en œuvre sur un territoire ce qui a été pensé est la condition pour le faire perdurer. Le bémol que je porterai à cette édifiante histoire c’est que Calvin était un fanatique qui excommuniait les dissidents et même les faisait condamner à mort. Ce qui n’est pas acceptable. Stefan Zweig l’a dénoncé dans une biographie dont il a le secret :Conscience contre violence. Comment mettre en œuvre ce qui a été pensé sans fanatisme, ni prosélytisme ni même prophylaxie, là est la question. Je pense que cela est possible, si on s’appuie à la fois sur l’ethnologie et la psychanalyse structurales. C’est en tous cas notre intention à Marie-Laure Salviato, Céline Goncalves et moi-même, avec cette histoire d’Hygie. Jusqu’à présent j’avais échoué, tout aussi bien avec l’Invention freudienne et Alters à Toulouse qu’avec la société savante précédemment organisée en Essonne. Il fallait trouver un point d’articulation mythologique qui permette l’inclusion de la dimension psychanalytique dans la réalité sociale. L’œuf de Colomb c’est le mythe de la Santé hippocratique qui professe qu’elle, la santé, est tripartite : organique, psychique (il ne faut pas oublier qu’Hippocrate a été le premier à faire une description clinique, entre autres, psychiatrico-psychanalytique de l’hystérie) et sociale. L’OMS a repris, comme rationnellement, à son compte cette mythologie. Et aujourd’hui dans la réalité de notre société, la santé est mise sous l’égide des médecins généralistes. C’est à eux, par délégation de service public, que revient la mise en œuvre de la politique de la santé ambulatoire. C’est dire que la CPTS Nord Essonne Hygie pourrait devenir notre République de Genève à nous, psychanalystes structuraux. Sans fanatisme ni prosélytisme. Expérimenter de fait de ce que l’on repère, mystérieusement, sous l’énigme inconsistante de « psychanalyse en extension ». Mais pour sortir de cette confusion énigmatique, il faut absolument théoriser ce qu’il en est de l’assignation du psychanalyste dans le fonctionnement de la réalité sociale. C’est ce que j’essaierai de faire dans le séminaire prochain. Il faut dire que mettre en œuvre cette intention est un effort épuisant et harassant pour Marie-Laure et Céline. D’autant plus harassant que les études et la pratique de la médecine ne prédisposent pas aux rapports de force sociaux et psychosociaux (rapports de force que l’on peut résumer lapidairement par cette formule cynique de Staline « le Vatican (Hygie) combien de divisions ? », auxquels l’exercice de la politique oblige. Au mieux les médecins n’ont connu que les relations médicales aux mandarins d’une part et à la technostructure de nos sociétés. Les médecins ne sont familiers ni de Sun Tzu, ni de Machiavel, ni du Livre des Ruses. La politique n’est pas inscrite à l’armature de leur divertissement professionnel. Et, si nous réussissons, peut-être aurons-nous voix au chapitre à Espace Analytique… Encore faut-il que l’on sache théoriquement ce que le psychanalyste a à faire dans cette galère qu’est la culture qui organise la réalité sociale. Quelle fonction anthropologique a‑t-il dans la structure de la réalité sociale de nos sociétés ? C’est ce à quoi je vais tenter de répondre dans les prochains séminaires.
Pour revenir à cette histoire de fondement métaphysico théologique de l’angoisse telle que Kierkegaard la fomente comme étant l’essence même de l’humanité de l’homme (« l’être de l’homme »), elle ne fait que trouver une explication mythologique à un phénomène non pas universel, mais seulement majoritaire. Kierkegaard lui trouve une « raison » idéalisée et sacralisée. Que l’angoisse soit l’éprouvé « émotionnel » des plus courants chez Homo Sapiens, à cause de sa capacité à permettre la survie quand l’Ex-sistence subjective fait défaut, est un fait. En conclure qu’elle est constitutive de la nature ineffable d’Homo Sapiens est sans doute excessif et également infondé. Pour nous, psychanalystes structuraux, elle résulte tout simplement, et tout trivialement, de la dialectique conflictuelle de la structuration (fixée ou non) de la mosaïque prémoïque. Car une dialectique prémoïque fut elle souffrante, peut tout aussi bien avoir une vertu aussi adaptative qu’une structuration terminale qui voit s’établir une dynamique subjectivo moïque « pure et parfaite ». En d’autres termes, au regard de l’adaptation, ce modèle terminal « pur et parfait »,au regard de l’exigence adaptative, n’est ni un idéal ni une obligation que devrait atteindre toute personne. Au fond ce qui permet de déclarer qu’une structure psychique est « pathologique » ou non, si on accepte ce terme du point de vue de la clinique structurale, consiste dans la présence ou non d’une instance subjective opérante et prévalente. S’il y a présence subjective intermittente, que la structuration psychique se soit arrêtée à l’émergence et à la stabilisation des instances prémoïques organisées en mosaïques (Moi-Totalitaire- Surmoi- Idéal du Moi), que celles-ci entrent en dialectique entre elles sans déterminer de fixation, alors on doit considérer, et admettre, qu’il s’agit d’une véritable normalité pour l’espèce Homo Sapiens, puisque l’adaptation est alors rendue possible. Autre manière d’affirmer que le modèle « pur et parfait » de structuration de l’appareil psychique ne constitue pas un critère de « normalité ». Ce n’est qu’une variante possible, et improbable naturellement, des processus multiples de structuration de l’appareil psychique spécifique d’Homo Sapiens. On peut même faire l’hypothèse à partir de ce constat et de cet état de fait que la modalité de survie, qui découle de cette organisation psychique inaboutie, est seulement une condition sine qua non de la pérennité de l’espèce parce qu’elle détermine son invasivité irrépressible et destructrice. D’ailleurs la nature, ou les processus évolutifs, font bien les choses puisque la structure culturelle de l’organisation sociale, l’institution sociale au sens ethnologique Lévi straussien, est fomentée « naturellement » pour intégrer cette majorité d’individus qui n’accède pas à cette exception de structuration psychique terminale. Cela permet à l’aptitude génétiquement programmée à la grégarité de s’actualiser pour chacun dans la réalité sociale que la culture génère. Sans cette organisation culturelle « inconsciente » il n’y aurait pas possibilité de collectif tant il y a hétérogénéité d’organisation psychique entre les individus. Donc la culture génère les modalités d’intégration de chacun, quelle que soit sa structuration psychique, dans cette réalité sociale. Car comme vous le savez la culture a pour fonction de fabriquer du semblable.
Tout cela pour faire entendre que la distinction entre « normal » et « pathologique », du point de vue de la psychanalyse structurale, est sensiblement différente de celle habituellement admise par la médecine ou la psychiatrie. Et explique pourquoi la guérison si elle ne concerne que ce modèle d’organisation psychique terminale « pur et parfait », qui advient aléatoirement (épigénétiquement) naturellement ou à la fin d’une psychanalyse structurale, n’est en rien une fin dernière, ni même un idéal qu’il faudrait promouvoir. Cela tord le cou au prosélytisme et à la prophylaxie, ce qui déjà encadre ce que pourrait être la psychanalyse en extension. Bon nombre de psychanalyses engagées, qui étaient des adresses véritables, s’arrêtent avant l’advenue de cette issue théorique, et ce sans qu’il y ait pour autant de « raisons » techniques (de fautes) dans la conduite de la cure ou de causes exogènes, repérables. Ce que l’on constate en disant que la guérison n’est pas obligatoire et ce qu’on peut dire quand il y a interruption de la cure, c’est que tout se passerait comme si une modalité de survie qui semble acceptable et suffisante ce serait constituée dans la cure. Et pourquoi pas ?
Au point que l’on pourrait se demander s’il n’y aurait pas chez Homo Sapiens une néoténie inscrite génétiquement, dont procèderait la structuration de l’appareil psychique, comme il y a une néoténie de l’organisation organique en regard de celle de nos cousins les grands anthropoïdes (cf. Le singe nu)[1]. Bien sûr on ne peut pas parler de véritable néoténie psychique « génétiquement déterminée », puisque certains Homo Sapiens accèdent à ce qu’on présente comme une structuration terminale aboutie de l’appareil psychique. Comme si la possibilité génétique d’aboutir à la structuration terminale de l’appareil psychique dépendait de conditions épigénétiques endogènes. On peut parler de néoténie organique chez Homo sapiens parce que tous les membres de l’espèce d’Homo sapiens (et sans doute de toutes les espèces « Homo ») n’atteignent pas le stade adulte que l’on constate chez les grands anthropoïdes. Si on s’en tient effectivement à la définition simple que la néoténie consiste à ce qu’un organisme qui n’atteint pas ce que l’on convient d’appeler « stade adulte » est tout de même en possibilité de se reproduire. Pour qu’il y eut véritablement néoténie psychique, il faudrait que cet état de structuration psychique inaboutie (au regard de la théorie psychanalytique structurale) soit universel chez Homo Sapiens. Ce n’est pas le cas puisque certains individus atteignent naturellement cet état de structuration psychique dite « terminale ». C’est dire que la potentialité de cette structuration« terminale » est inscrite génétiquement chez Homo Sapiens, mais que son actualisation ne relève pas d’une nécessité absolue. Elle dépend de facteurs épigénétiques endogènes et exogènes. La référence à la néoténie quand il s’agit de l’appareil psychique est donc analogique. Elle permet d’affirmer qu’il n’est pas nécessaire que cet aboutissement advienne pour qu’un individu s’adapte et s’intègre dans le collectif. Il est néanmoins adulte.
Ces dernières remarques peuvent induire une réflexion plus radicale. Cela revient à considérer que ce que je viens de définir comme « guérison », bien que sa définition soit circonscrite au seul cadre de la cure structurale et à son issue, c’est-à-dire la bonne fin de la structuration et de la dynamique de l’appareil psychique, ne serait en aucun cas « terminal » au sens habituel du terme. C’est-à-dire d’un point de vue téléonomique, comme un état de structuration psychique potentiellement accessible à tous, pour peu qu’on prenne les moyens, voir qu’on en ait la volonté consciente ! Comme s’il y avait un continuum linéaire qui commence avec l’épreuve de subjectivisation et se clôture par cet état terminal. Rien n’est moins sûr. Car la structuration de l’appareil psychique obéit à des processus stochastiques, comme tous processus qui régissent le vivant et son évolution, y compris dans les structurations moléculaires[2]. Et si on voulait pousser à son extrême l’hypothèse épigénétique stochastique, on pourrait soutenir que bien qu’il y ait une possibilité « génétique » à cette configuration terminale, le caractère stochastique de son actualisation la rend improbable. Et du point de vue de la perduration de l’espèce pas forcément souhaitable puisqu’aussi bien la structuration de la réalité sociale culturelle d’Homo Sapiens s’est constituée pour faire consister collectivement cette majorité d’individus dont l’appareil psychique n’est pas structuré sur ce mode « guérison ». Cette structuration « culturelle » de la réalité permet l’agrégation de tous ceux dont l’appareil psychique s’est structuré sur le mode des dialectiques conflictuelles prévalent dans toutes les organisations mosaïques prémoïques. Ce n’est pas pour autant que ceux dont la présence au monde est déterminée par cette configuration psychique particulière en sont exclus. Encore que cela puisse venir à l’esprit puisqu’au « Sujet il n’y a ni autre ni semblable ». Et même, j’essaierai de m’en expliquer, ils y ont une présence nécessaire. C’est une position strictement darwiniste. J’y reviendrai plus précisément quand je traiterai de l’humanisme et de la misanthropie du psychanalyste.
DE L’ADAPTATION
Outre le fait de porter un coup fatal à l’idéalisation à la fois à la normalité et à la guérison, cela permet aussi de préciser que la psychanalyse structurale n’est pas adaptative au sens où le sens commun le laisse entendre. La cure psychanalytique structurale n’a pas pour but de permettre l’adaptation aux modèles idéologiques ou mythologiques en cours dans notre société. Modèles idéologiques et mythologiques qui régissent le travail, la famille, la sexualité, l’organisation sociale, la production des services et des biens ou la politique. Rendre conforme, donc exclure, n’est pas à l’armature de la psychanalyse structurale. En d’autres termes, la psychanalyse structurale ne participe en rien à ce « surveiller et punir » dont Michel Foucault soutient qu’il serait l’objectif réel de la psychiatrie, mais aussi, par extension, de la psychanalyse freudienne. Peut-être pas lacanienne. Ce qui me fait dire que Lacan ferait exception c’est son attitude après le grand carnaval de mai 1968. D’abord il a semblé intéressé par cet évènement puis agacé quand son gendre et sa fille ont viré maoïstes. Il a eu alors cette formule lapidaire à Vincennes en novembre 1969 « l’aspiration révolutionnaire, ça n’a qu’une chance d’aboutir, toujours, au discours du maître… Ce à quoi vous aspirez comme révolutionnaire, c’est à un maître. Vous l’aurez ». Je le disais autrement, d’un point de vue ethnologique. Un carnaval c’est fait pour assimiler et se soumettre aux valeurs dominantes que l’on transgresse, ou qu’on nie, dans cet événement collectif. La gauche, à tout le moins, s’est convertie au capitalisme. Ce qui au fond, n’était pas trop grave. Il faut bien un système de production. Mais ce qui est plus préoccupant c’est qu’on a assisté là au triomphe de l’individualisme moïque inauguré au siècle des lumières sous les auspices des philosophes du XVIIIème Siècle. Et de l’hédonisme, avec l’idéalisation du plaisir réduit aux plaisirs d’organes. Dont, d’une certaine manière, Freud anticipe, avec son histoire fatale de libido et de pulsions, l’avènement. Au détriment de ce qui fait l’humanité subjective de l’homme. En tout cas l’occulte durablement. Ce contre quoi Deleuze et Guattari s’étaient insurgés en leur temps avec l’Anti Œdipe d’une part et la schizoanalyse d’autre part. Avec cette histoire de schizoanalyse ils avaient sans doute perçu, mais aussi de manière politique et idéologique, la fonction la stochastique subjective et son essentialité dans le fonctionnement de l’appareil psychique et sa reprogrammation permanente. Ce qui ne m’empêche pas de soutenir, par ailleurs, que l’appareil psychique est fondamentalement un système adaptatif qui permet l’intégration au monde (environnemental) en général (voir sa maitrise) et aux fondamentaux culturels et organisationnels de n’importe quelle société ou civilisation.Un système adaptatif générique et universel qui permet l’appartenance à toutes les configurations culturelles sociales et à tous les milieux physiques. Une capacité adaptative vide de sens et strictement fonctionnelle. C’est-à-dire une intentionnalité téléonomique. Capacité adaptative qui permet à quiconque qui l’a acquise d’accéder au « sens » en cours dans son collectif d’appartenance sans y croire ni, partant, l’idéaliser. Cette position permet d’y inscrire ses envies moïques particulières sur le mode du divertissement. Mais pas seulement les envies moïques.
Il convient donc de noter que le terme de guérison a une acception circonscrite à la psychanalyse structurale et n’est absolument pas un état « normal » ni « idéal » de l’appareil psychique, mais seulement le résultat de la cure quand elle arrive, aléatoirement, à bonne fin. Dans cette perspective si on origine le début de la cure à l’éprouvé insupportable de la carence ou de la faillite de la subjectivisation, qui se manifeste par l’éprouvé d’une détresse du vivre qui détermine des fixations répétitives, la dite guérison se résout au constat que l’instance subjective s’est restaurée et que les instances substitutives ont disparu pour permettre l’instauration du Moi et son entrée en dynamique avec l’instance subjective. Autant dire que la guérison est un concept qui n’a de valeur qu’au regard de la théorie et de la clinique psychanalytique structurale. Ce n’est qu’une manière de définir opératoirement ce qui signe la fin de la cure. Si on voulait simplifier, on pourrait dire que ce qui s’instaure avec cette guérison, c’est ce qui advient normalement pour une minorité de personnes à l’issue d’une structuration naturelle de l’appareil psychique après une quinzaine d’années de maturation psychique banale. Pendant toutes ces années, la structuration de l’appareil psychique s’opère par phases, d’une manière non linéaire, où sont sélectionnées les modalités et les instances dont elles se constituent. Reste que le déclenchement d’une phase à l’autre occasionne généralement (mais pas toujours) une symptomatique pseudo pathologique, parfois paroxystique, non dépourvue d’éprouvé d’angoisse.
Force est de constater que si cela aboutit à une structuration terminale naturelle, cette occurrence ne génère jamais de vocation à acter la psychanalyse. Les personnes auxquelles échoit cette structuration particulière n’ont pas plus envie de devenir psychanalystes que ceux qui bénéficient d’une guérison « banale ». Il est donc indéniable que pour qu’il y ait du psychanalyste il faut qu’il y ait un psychanalyste et de surcroit une « guérison », mais qui se différencie de la guérison dite banale. Disons qu’elle s’avère« singulière ».
Avant de s’engager plus avant dans l’explication de ce qui fait la singularité de la guérison qui détermine l’injonction à psychanalyser, il me parait nécessaire d’en dire plus sur ce qui fait la désaffection vis-à-vis de la psychanalyse de ceux qui bénéficient d’une structuration terminale naturelle ou d’une guérison banale grâce à leur cure. Pour les premiers, puisqu’acquise « naturellement », ils ne se préoccupent jamais de pourquoi leur appareil psychique à atteint cette configuration terminale. C’est le cadet de leurs soucis. Cela ne fait aucune interrogation. Au mieux, ils peuvent faire montre d’un intérêt, lointain ou proche, pour la psychanalyse. Un intérêt intellectuel. Pour les autres, les ex-psychanalysants, l’effet de la guérison fait qu’ils bénéficient de ce que les psychanalystes archéo freudiens nomment « l’amnésie infantile ». Ils oublient du coup les tribulations de leur survie antérieure et les affres endurés au cours de leur psychanalyse. Cette amnésie les inscrit dans le toujours présent maintenant subjectif sans persécution ni du passé ni du futur. C’est un acquis de la classe ouvrière des psychanalysants. En cela ils rejoignent la minorité de ceux qui, ayant cette structuration naturellement, n’ont eu besoin de personne pour y accéder : ils n’en attribuent le mérite à personne, pas même à eux. Aussi, à ce moment de conclure la cure, il en est de même pour les ex-psychanalysants ; ils minimisent totalement l’efficacité du psychanalyste. Au mieux pourraient-ils reconnaitre qu’il a été un agent contingent (ou un agent mineur) dont il est urgent d’oublier la contribution. D’autant qu’il a payé pour. Il est donc, dans nos sociétés, quitte. Me revient une maxime de La Rochefoucauld « je ne puis accepter la pensée d’être libéré par un autre que moi-même », ce qui, au-delà d’une interprétation fallacieuse où on en appellerait uniquement à une tendance narcissique, n’est pas faux. Comme si, implicitement, ils attribuaient cet effet à la seule auto-organisation. Ce qui faisait dire à Lacan que le psychanalyste, à cet instant, était réduit à l’état de « déchet ». C’est très exagéré et, à tout le moins, inexact. On peut même soupçonner dans cette locution un soupçon d’idéalisation négative (il vaut sans doute mieux être un déchet que rien…) ou de dépit ! Ce qui est indéniable c’est que ce faisant, on occulte que la présence subjective du psychanalyste et accessoirement son acte, c’est ce qui a permis à l’auto-organisation de se réenclencher et de restructurer l’appareil psychique. Décidément, il n’y a aucune ingratitude vis-à-vis du psychanalyste ni à fortiori réduction à l’état d’un déchet que l’on rejette. Il y a la manifestation d’une indifférence subjective à son égard. Ce qui est la moindre des choses sinon, comment pourrait-on parler de guérison !
À l’évidence, cet oubli de la cure psychanalytique et du psychanalyste n’advient pas chez ceux qui, irrépressiblement, sont pris d’une intention de psychanalyser. Intentionnalité qui s’actualise comme une injonction péremptoire irrationnelle, parfois déplaisante, dont il est impossible de se déprendre. C’est à cet instant que s’engage à proprement parler la phase didactique de la psychanalyse. Elle s’articule sur les points saillants éprouvés et ressentis dans la cure. Il n’y a donc pas oubli. Bien sûr toutes les psychanalyses sont « didactiques » dans le sens où il faut que le psychanalysant « connaissent » au moins temporairement, comment leur appareil psychique est structuré et fonctionne à toutes les phases de la cure ; à défaut la guérison serait impossible. Mais cette connaissance ponctuelle ne s’assimilera pas. Elle aussi sombrera dans l’oubli une fois l’effet acquis. La phase didactique du futur psychanalyste est dédiée à cette « assimilation » de la théorie et de la clinique psychanalytique. Comme les psychanalystes n’ont qu’une vague idée de ce qui permet le passage du divan au fauteuil, il est d’usage de réserver cette phase d’assimilation aux prétendus contrôleurs ! Alors qu’elle fait partie intégrante de la cure de celui qui se dédie à psychanalyser. La légitimité des contrôleurs est donc fondée sur une carence théorique majeure. Carence théorique qui se masque en appelant au « désir du psychanalyste ». Car si on définit le « désir » comme motivé par un objet, fut-il petit « a », alors on ne peut comprendre ce qui se joue dans le passage du divan au fauteuil. En effet, l’intentionnalité de psychanalyser n’est pas objectale. Elle ne se résout pas à acquérir un savoir théorique et pratique, ce que suggère la pratique du contrôle, Mais à l’assimiler. Il s’agit d’assimiler une connaissance pour l’actualiser. Les contrôleurs, dans cette perspective, sont des enseignants et des censeurs. Ce que n’est pas le psychanalyste.
DE LA SINGULARITÉ DYNAMIQUE DE L’APPAREIL PSYCHIQUE DU PSYCHANALYSTE
Il faut donc admettre qu’antérieurement à ce que l’on convient de nommer « auto autorisation », dont se légitime le psychanalyste après Lacan, il y a un phénomène psychique spécifique qui détermine et génère cette auto autorisation. Un phénomène qui se situe antérieurement à l’injonction qui sous-tend l’auto autorisation à psychanalyser. Auto autorisation, d’abord auto centrée (la prise de conscience de l’intentionnalité « de psychanalyser ») qui s’adressera, plus tard et à un moment donné, au collectif. Nécessité pour que soit « légalisée » dans la réalité sociale la légitimité de cette auto-autorisation. Manière de confirmer que la cure psychanalytique est une pratique sociale et non pas extra territoriale. Et que, de plus, le psychanalyste a une fonction essentielle dans la structuration et le fonctionnement du collectif. Mais dans un premier temps cette auto-autorisation s’adresse de soi à soi, en présence du psychanalyste, en fin de cure. Autorisation qui s’actualise ensuite de manière prématurée et quasi clandestine (hors reconnaissance sociale, mais sous l’égide du psychanalyste), puis s’affirme dans le collectif. Cette affirmation dans le collectif signe le passage véritable du divan au fauteuil… bien que pour autant cela ne scande pas forcément la toute fin de la cure. Il y a donc d’abord anticipation parce que n’est pas advenu consciemment la fonction que tient le psychanalyste dans le collectif. Et que, partant, l’impétrant ne peut l’assumer en toute connaissance de cause. Dans le meilleur des cas il y sacrifie implicitement, à son corps défendant. Reste donc à déterminer, et à articuler théoriquement, quel phénomène psychique génère d’abord cette injonction à psychanalyser, puis l’auto autorisation qu’elle induit, enfin l’affirmation dans le collectif.
Jusqu’à présent on faisait comme si à l’issue de ce voyage immobile, inscrit dans la durée et non pas dans la chronologie du temps qui passe, le moment de conclure la cure consistait dans ce passage irréversible et assumé du survivre au vivre. Passage qui permet d’accéder moïquement à son collectif d’appartenance et d’y inscrire enfin ses envies singulières. C’est dire qu’antécédemment à toute auto autorisation à psychanalyser, il y a autorisation au Vivre en toute autonomie psychique. C’est dire hors soumission et idéalisation puisqu’aussi bien l’autonomie psychique est alors assurée par la configuration subjectivo-moïque et sa dynamique coopérative particulière. Aussi, quand j’évoque cette indépendance vis-à-vis des impératifs sociaux, il faut simplement entendre qu’on s’y présente sans recours ni aucune base arrière qu’un autre, ou qu’un mécanisme psychologique plus ou moins défensif ou pathologique, représenterait. Comme si apparaissait à cet instant un éprouvé que l’on repère habituellement sous la notion psychologique de « confiance en soi ». Cette confiance en soi se manifeste d’ailleurs dans la langue commune par le truchement de cette locution, assez répandue et commune, par laquelle on commence bon nombre de nos phrases quand il s’agit d’opposer ou de proposer un point de vue ou une conviction : « Moi, je… » Il ne faudrait pas réduire cette expression à la seule manifestation égotique d’une infatuation. Elle peut l’être bien entendu ! Mais pas essentiellement. On peut aussi y percevoir l’expression « préconsciente » au sens freudien du terme (je vous rappelle cette conception du préconscient comme ce qui est déjà dans l’énoncé de la langue, mais n’est pas encore conscient) d’un éprouvé de cette dualité structurale Sujet/Moi. Et qu’il y aurait dans la dynamique de ces deux instances une autorisation qui permet l’expression et l’actualisation d’une singularité possible dans le concert de nos semblables. Si on s’en tient à la formule telle qu’elle s’énonce, à sa formalisation dans la langue, on constate une inversion de prévalence par rapport à la dynamique métapsychologique attendue. Tout se passerait comme, si on s’en tient à la littéralité expressive de cette locution, le Moi permettrait alors l’affirmation subjective. Or, en théorie, le Moi ne peut s’affirmer dans le collectif, pour autant qu’il bénéficie de l’infrastructure subjective de l’éprouvé d’Ex-Sister. Bien sûr, on sait que le « Je », dans cette occurrence, est sujet de l’énoncé et non pas Sujet de l’énonciation, c’est-à-dire de l’inconscient. Il permet d’affirmer moïquement la singularité que l’on veut exprimer. Ce qu’il faut donc entendre dans ce redoublement, qui apparait en première approximation comme une redondance moïque, c’est que cette énonciation affirme implicitement le péremptoire subjectif. C’est-à-dire que ce qui est dit n’a pas d’autre recours que la permanence subjective d’Ex-Sister. Elle atteste donc, sans en avoir conscience, que cette opinion ou cette pensée ne s’autorise que de l’Ex-Sistence subjective. De fait cette démonstration n’est valable que si l’intentionnalité de l’expression de « sa pensée réflexive » ou de « son opinion » est, je dirais, intransitive. C’est-à-dire qu’il n’y aurait nulle intention de s’opposer, de convaincre, de subjuguer ou de séduire. Elle s’affirme à soi-même. C’est la vertu de cette apparente tautologie. Pour le dire de manière métaphorique, tout se passerait comme si, le Moi, était le ventriloque de l’instance subjective. « Je n’est pas un autre (Moi) », comme dit le poète, mais une autre instance. « Je » subjectif, dans cette locution, est présent en absence. Et le caractère péremptoire de cette locution affirmative : « Moi, je pense ou je crois que … » tient de l’enkystement de cette présence subjective toujours présente maintenant dans la langue. Elle fait apparaitre, en la masquant, l’énonciation.
D’une certaine manière cette locution n’est que la forme familière, populaire, et guère différente du cogito cartésien qui tente de fonder « l’être » à partir de la pensée réflexive ; c’est-à-dire moïque. Ce fondement déductif s’énonce en latin sous les espèces de l’expression « cogito ergo sum », « je pense donc je suis ». Ce qui en première approximation pourrait faire croire qu’il y a convergence entre ce que je soutiens et ce que Descartes croit fonder. Cette convergence pourrait découler du fait de l’ambigüité de signification que l’on peut attribuer au « je pense ». Dans l’esprit de Descartes ce « je pense » renvoie à ce qu’il en est de la pensée reflexivo moïque. Celle qui énonce clairement, c’est-à-dire rationnellement, ce que « l’esprit » conçoit. « Ce qui se conçoit bien s’énonce clairement, et les mots pour le dire viennent aisément… » disait Boileau. Il ne s’agit pas du « Penser subjectif » que je suppose au registre inconscient. Donc, l’apparence de convergence est trompeuse. Ce qui fonderait « l’être de l’homme » ou tout au moins ce qui permettrait de subsumer qu’il y a de l’être chez l’homme, c’est le fait que le Moi pense. C’est-à-dire sa capacité à réfléchir rationnellement. De fait il s’agit d’une double divergence par rapport à ma position structurale. D’abord parce que l’être, la problématique de l’être, n’est pas inscrit à l’armature des présupposés de la psychanalyse structurale. Seulement celui de l’éprouvé phonologique d’Ex-sister. Ensuite parce que le fait de réfléchir, de penser réflexivement n’est absolument pas la preuve de l’Ex-sistence. Comme dans la locution familière, « moi, je pense… », il y a une inversion, où l’effet de la pensée réflexive n’est possible que du fait qu’il y a préalablement de l’Ex-Sistence. Au mieux, on peut considérer que cette formule a la même fonction que celle, triviale, que tout un chacun emploi à l’envi quand il s’agit de s’affirmer moïquement de manière péremptoire. Cette faiblesse probatoire a quand même la vertu de faire apparaître en creux l’éprouvé d’Ex-sister nécessaire à l’affirmation dans le collectif. Descartes, commentait un chercheur, ignorait l’existence de deux instances psychiques. Chez lui dieu se substitue, nécessairement à l’instance subjective Ou pour le dire autrement, il ya un sujet de l’énonciation psychique (et non pas celle du linguiste) et un sujet (moïque) de l’énoncé linguistique. Pour lui, il y a confusion de ces deux types de sujets au profit facial du sujet de l’énoncé.
DE LA DESTITUTION DU NARCISSISME PRIMAIRE
Si cette hypothèse a quelque pertinence, en tout cas elle découle d’une véritable articulation théorique, cela permettrait d’apporter une autre formulation à la problématique du narcissisme primaire telle qu’elle apparait chez Freud en 1915. Bien entendu, cette problématique est centrale. En tout cas elle tente de poser une véritable conception de ce qui fait la consistance du Moi. De quoi le Moi est-il le nom ? Freud émet l’hypothèse que pour s’affirmer psychiquement, le Moi doit être investi d’un quantum de libido originellement libre. Pas toute, mais une partie. Libre parce qu’à cette époque la libido, concept limite d’avec le biologique, n’est pas encore l’apanage du Ça. Elle est d’essence neuro biologique. Il faudra attendre 1920, et au-delà du principe de plaisir et les textes suivants, pour que le Ça et la libido soient quasiment identiques. Le Ça, à un certain moment de la mythologie de Freud, apparait comme le réservoir des pulsions. Freud fait l’hypothèse que la libido (énergie quasi biologique) se fixe sur le Moi et lui donne une consistance grâce à la consistance que la pulsion lui confère. Autant dire que le Moi est pour ainsi dire le premier « objet » sur lequel la libido porte son intérêt ! Et, de ce fait, lui apporte une sorte de confiance ssufisante pour s’affirmer à l’extérieur, dans la réalité sociale. Toutes les autres relations d’objets seront construites sur ce modèle du Narcissisme primaire. Autant dire originaire. Cette histoire de Narcissisme primaire connote, chez Freud, quoiqu’on en veuille, une manière d’amour de soi qui serait garant d’une certaine assurance dans le collectif. On n’est pas loin de ce qu’élabore de son coté la religion chrétienne qui fait obligation d’aimer son prochain (l’autre) comme soi-même. Il n’y aurait alors qu’une question de degré entre l’amour de soi infatué, et donc pathologique, et l’amour de soi adaptatif. La confiance en soi, dit-on, qui permet l’affirmation dans le collectif, mais aussi de créer du lien avec du semblable. Et cet amour de soi quand il n’est pas pathologique permettrait d’exprimer ses pensées réflexives sans peur et sans agressivité et d’agir en toute indépendance. C’est assez joli cette mythologie. Mais cela ne dépasse pas la banalité d’une psychologie ordinaire. Dans les termes qui sont les miens, cette élaboration freudienne apparait comme une méconnaissance, ou une dénégation, de l’instance subjective nécessaire à la présence au monde. Mais qu’il ignore cette fonction subjective dans la guérison normale n’est pas véritablement dommageable. Pourvu qu’elle apparaisse, par exemple, dans la langue sous les espèces de ce Moi/Je. Ce qui explique pourquoi pour y renoncer la majorité des psychanalysants, même s’ils accèdent à la guérison, se désintéressent totalement de ce qui s’est passé dans leur cure, de leur psychanalyste et de la psychanalyse en général. Leur cure, quelle que soit sa durée, se présente comme une parenthèse, ou une péripétie, oubliable. Que leur instance subjective fasse « inconsciemment » son office de vectorisation stochastique du processus moïque est le cadet de leurs préoccupations. Et à bon droit. Même si cette instance permet, comme on vient de le voir, l’affirmation pseudo péremptoire (c’est le Sujet qui est péremptoire) du Moi dans le collectif. Même si elle permet d’actualiser les envies sans risque de répétition pathologique parce qu’elle introduit, par son fonctionnement stochastique, non pas le doute fut il celui que Descartes préconise dans la recherche scientifique, mais l’innovation et la transformation qui permet d’en renouveler l’attrait. Cette dynamique subjectivo-moïque quoique efficiente est « naturelle »,non réflexive, et à la fois automatique et permanente. Pour la majorité de ceux qui guérissent, cet accès naturel au vivre est nécessaire et suffisant.
« Mon Dieu, mon dieu, la vie est là
Simple et tranquille.
Cette paisible rumeur-là
Vient de la ville. »[3]
Comme le poétise Paul Verlaine. Bien sûr cette évocation est une idéalisation. Dans la vraie vie, cela ne se passe pas comme ça, même pour ceux qui accèdent à la guérison. Enfin, disons que l’adaptation est plus simple et dénuée d’angoisse ou de souffrance. Mais ni les ennuis ni les désagréments ne disparaissent ! Ils demeurent et se présentent alors comme de simples problématiques à résoudre et à surmonter dans l’ordre du divertissement adaptatif.
DU DESTIN PSYCHIQUE ÉTRANGE DU PSYCHANALYSTE
Jusqu’à présent rien ne différenciait, théoriquement, la fin d’une psychanalyse de ceux qui oublient tout de leur psychanalyse et ceux qui s’autorisent à psychanalyser. Las, tout porte à penser que ce n’est pas cet oubli qui advient pour ceux qui vont se trouver dans l’obligation de psychanalyser. Car la fin de psychanalyse que je viens de décrire à la fois phénoménologiquement et théoriquement, n’est pas le seul modèle de sortie de cure. Disons qu’il s’agit d’une modélisation « pure et parfaite » d’une guérison naturelle quand elle est ordinaire ; c’est-à-dire : banale. C’est sans doute ce que tout un chacun qui entre en psychanalyse imagine. Un tableau idyllique que l’on peut allégoriser en citant du Bellay :
« Heureux qui, comme Ulysse, a fait un beau voyage,
Ou comme cestuy-là qui conquit la toison,
Et puis est retourné, plein d’usage et raison
Vivre entre ses parents le reste de son âge »[4]
À noter tout de même qu’à l’instar du voyage immobile psychanalytique celui d’Ulysse, comme celui de Jason et des argonautes, n’a pas été de tout repos. Car, de fait, celui des psychanalysants ne l’a guère éténon plus. Ce qui explique peut-être le sursaut d’abord d’idéalisation puis de déception qui prend ensuite certains qui viennent d’en finir avec les péripéties innombrables, terrifiantes, angoissantes ou douloureuses qui l’ont émaillé. On tente de les oublier à jamais et de magnifier l’issue quand pointe la guérison. Cela fonctionne pour ceux qui bénéficient d’une guérison ordinaire. Encore qu’il ne soit pas toujours simple d’accéder à cette issue. C’est-à-dire au Vivre simple et tranquille. Certains psychanalysants en retardent l’advenue. Pour toujours filer la métamorphose de l’Odyssée, Godard dans le Mépris a une thèse qui corrobore cette difficulté d’en sortir. Il émet l’hypothèse que si Ulysse tarde à rentrer en Ithaque, c’est parce qu’il ne souhaite pas vraiment retrouver Pénélope. Et j’ajouterais que s’il ne souhaite pas retrouver son épouse c’est qu’il entretient, d’une certaine manière, la nostalgie des fureurs de la guerre et de la survie. Les péripéties dramatiques de son Odyssée en attestent. Les affres de la survie, et l’excitation qu’elles prodiguent ont un attrait certain comme on sait. Il est bien difficile quand on y a gouté de s’en passer ! L’appareil neuro cérébral a du mal à se passer de cette exacerbation. Et l’équanimité semble si ennuyeuse !
En tout état de cause ce n’est pas ce qui attend ceux qui auront l’obligation de psychanalyser. Pour eux la guérison ne consistera pas simplement à passer de la Survie au Vivre. C’est une première déconvenue, comme si à ce moment de conclure, entrevoir cette éventualité du Vivre s’avérait peu ou pas enviable. Non enviable au sens où justement, quoique l’accès soit possible, aucune envie « vitale », c’est-à-dire prégnante, n’advenait. Ce désintérêt, qui n’était pas véritablement anticipé, et sa prise de conscience, n’est pas simple à considérer. Il en découle, au mieux, une certaine perplexité. Au point que dans cette conjoncture il arrive à certains de douter de la réalité de la guérison ou même de la possibilité d’une guérison. Pourtant, l’expérience montre, dans divers secteurs de leur vie, que la structuration subjectivo-moïque est advenue. En particulier cela s’avère quand des cures sont entreprises par la personne qui s’autorise, en catimini, psychanalyste. Il y a dans les cures entreprises une sorte d’intimité, qui n’est pas sans évoquer ce que je nomme « affinité élective » duelle entre le néo psychanalyste et son psychanalysant. À ceci près que dans cette conjoncture élective celui-ci a assimilé le caractère asymétrique de cette rencontre. Il tient la position subjective. Mais comme « intime ». Cela est l’indice que la structuration subjectivo moïque s’est opérée. Mais si cette structure est en place, elle ne peut pas encore s’actualiser dans la réalité sociale. L’auto autorisation n’est pas générale. Et s’il s’autorise à cet instant à psychanalyser c’est de manière anticipée et prématurée. Prématurée dans le sens où d’une part leur rapport à la théorie et à la technique psychanalytique n’est pas totalement assimilé et d’autre part, et conséquemment, ils ne peuvent encore affirmer leur position dans le collectif. Ils s’y adonnent en contrebande ou clandestinement. Avec l’assentiment de leur psychanalyste. Malgré cela, il n’est pas rare que certains de ces psychanalysants, à cause de ce désintérêt pour les envies objectales, à ce point de leur cure, éprouvent comme un vide d’envies psychiques incongru. Étrange même : Acter la psychanalyse n’est pas comblant ! Quelle déconvenue !
D’autant que dans le même temps, on assiste parfois à une recrudescence spectaculaire des symptômes que l’on croyait définitivement liquidés. Comment Vivre quand les envies défaillent et que les symptômes anciens flambent ? Cette occurrence fait alors croire que d’être privée de cette guérison normale et banale est une condamnation à être exclue définitivement du Vivre. Donc du collectif. Ce qui entraine une nouvelle forme d’inquiétude psychique. Cela peut déclencher une certaine révolte ou bien plutôt un ressentiment voir du désespoir. Cela arrive aussi en fin de psychanalyse chez certains artistes. C’est une sorte de stupeur qu’il ne faut pas confondre avec le retour de l’insatisfaction hystérique. Pourtant reste la conviction que la guérison est là paradoxalement, quoiqu’elle ne se présente pas comme elle était attendue. Si on voulait recourir à une analogie métaphorico mythologique, on pourrait dire qu’à cet instant le psychanalysant en passe de s’autoriser psychanalyste est dans la position de Moïse, après la traversée du désert et toutes les vicissitudes subies, quand le peuple d’Israël entre en Canaan et que lui, par une injonction divine, n’y a pas droit. C’est Josué qui mènera le peuple d’Israël à la conquête de Canaan et de ses richesses : la Terre promise. Terre promise idéalisée du Vivre interdite au psychanalyste !On pourrait aussi évoquer que cette difficulté à s’autoriser psychanalyste serait du même ordre que ce qui advient dans la dernière phase de la cure qui aboutit à une guérison normale ; juste avant que le psychanalysant se trouve guéri. À savoir que la dynamique subjectivo Moïque s’est enclenchée, mais que cette dynamique si elle opère dans le cadre de la cure, ne peut advenir dans la réalité sociale. Ce qu’on repère sous forme de peur de Vivre, pour la différencier d’avec l’angoisse qui a pour fonction de masquer la Détresse du Vivre.
Pourtant cet éprouvé incongru de vide n’est pas une répétition du symptôme d’insatisfaction hystérique. Car comme vous le savez le symptôme hystérique d’insatisfaction exprime, au travers de la problématique d’un manque d’objet comblant, le manque d’éprouvé subjectif d’Ex-sistence. Il est la métaphore de ce manque à Ex-sister. Or ce qui se joue à ce moment n’est absolument pas de ce registre quoique cela y ressemble phénoménologiquement. De fait, ce qui se présente à cet instant c’est le positif de la problématique de l’hystérie. Il n’y a plus la quête interminable d’un objet comblant toujours manquant, mais le désintérêt radical ou partiel, passager ou définitif, pour toutes « envies objectales ». Il y a destitution tout à la fois de l’envie et de l’objet. Ce qui n’est pas rien, car ce désintérêt semble constituer si ce n’est un vide abyssal du moins contribue à désorienter. Drôle de guérison me direz-vous. De fait il ne s’agit pas encore de guérison, mais des prémisses de celles-ci. La structure est en place, mais elle ne peut s’actualiser. Et elle ne s’actualisera pas comme dans la guérison normale.
Ce remaniement a un effet tout à fait spectaculaire. Certains, paradoxalement, dans cet instant particulier s’avouent même avec effroi n’avoir aucune attirance pour nos congénères qui devraient être leurs semblables. Ce n’est pas aussi paradoxal que cela le laisse paraitre. Ce dont il s’agit là, c’est que, sans en avoir conscience ils expérimentent ce qu’il en est de la position subjective dans la réalité sociale. À savoir qu’au Sujet nul autre ni semblable. Une sorte de révélation transitoire (ou pas) que la relation objectale à l’autre n’est absolument pas primordiale. Cette prise de conscience peut s’avérer violente. Il ne s’agit ni d’égoïsme ni d’infatuation, mais l’expérience de ce que je viens de théoriser sur la fonction subjective comme ancrage et pivot de toute réalité psychique possible. En lieu et place de la faribole du narcissisme « originaire » freudien. Pour le dire en terme psychologique ordinaire, il y a comme destitution des repères habituels des relations entre les personnes et en particulier de ce qui est repéré comme affect « d’amour » de l’autre considérer comme quintessence du lien humain. Vivre sans cette capacité d’aimance, dont nos sociétés nous en rabattent les ouïes, semble indécent. C’est un « must » impératif comme on dit maintenant. Comme si ce sentiment, et les conséquences qu’il a étaient central pour donner « sens à la vie ». Il est bien difficile d’admettre que cette idéalisation de l’amour qui, conséquemment, justifie et permet l’actualisation d’envies sexuelles, est plus nocif au Vivre que son absence. Cela caractérise la survie. Pourtant le petit poète nous met en garde : « Il n’y a pas d’amour heureux », mais il ajoute « C’est notre amour à tous deux »[5], ce qui indique que malgré tout on y tient. Un symptôme social, pourrait-on dire, dont Freud (et même Lacan d’une manière ambigüe)ont contribué à faire perdurer le mythe. Ce désintérêt pour l’amour du prochain, qui se présente parfois comme une impossibilité, est parfois vécu comme une véritable déshumanisation. Ce qui est tout à fait à l’opposé de ce qui est en train de s’opérer. C’est l’affirmation paradoxale d’accès à l’humanité subjective.
Ce que l’on peut dire, là où nous en sommes de cette élaboration théorique du passage du divan au fauteuil, c’est que l’avènement de cette dualité d’une instance subjective et d’une instance moïque ne suffit pas à caractériser ce qu’il en est de la guérison spécifique qui oblige le psychanalyste. Cette occurrence estaussi une nécessité pour qu’il y ait guérison banale. Quoiqu’on constate cliniquement qu’elle diffère véritablement. En toute logique la configuration structurale topique est commune à ceux qui bénéficient d’une guérison banale et aux psychanalystes, aux artistes et aux mystiques. C’est donc au niveau de la dynamique de coopération des instances qui vont s’instaurer entre elles que se joue la divergence entre la banalité de la guérison et celle qui oblige à psychanalyser. Ce que nous entrevoyons là c’est que cette dynamique n’est pas orientée de la même façon chez le psychanalyste.
Nous l’avons vu précédemment la dynamique coopérative qui anime la dualité de ces deux instances quand advient la guérison normale ou banale s’opère, pourrait-on dire, en faveur de la fonction moïque exclusivement. Et des envies qui déclenchent leurs investissements objectaux. Dans cette perspective, la fonction subjective est alors « atone ». Ou pour employer une terminologie archéo freudienne « inconsciente ». Ou bien plutôt « pré consciente » puisque d’une certaine manière elle est inscrite dans la langue sous les espèces de l’énonciation. C’est, si on peut dire, un acquis de la classe ouvrière des psychanalysants quand ils ont guéris banalement. Cette fonction subjective « atone » ou « préconsciente » a pour fonction d’empêcher, sur le mode stochastique, la sclérose et la fixation répétitive des envies objectales. Elle permet leur transformation permanente ; ce qui évite l’ennui ou permet le passage d’une envie à une autre, mu non pas comme chez l’hystérique par la déception répétitive, mais par l’intérêt toujours renouvelé. C’est pourquoi il n’y a nul besoin qu’elle s’avère explicite pour s’affirmer dans le collectif. Dans cette perspective, c’est la fonction moïque « narcissique » qui s’affirme sous la forme triviale de la « confiance en soi ».
Reste que dire que dans cette configuration le Sujet est atone est assez inexact. Il est atonedurant la vieille, mais il s’éveille dans le sommeil. Dans le temps du rêve stochastique, où à l’inverse de ce qui se passe dans la veille, il n’est pas seulement toujours présent maintenant passivement, mais s’active pour permettre les reprogrammations psychiques et biologiques. C’est dire que le prétendu repos somatique de la nuit est voué à l’activité subjective, de même que la veille est vouée à l’activité moïque. Cette manière de voir devrait permettre de reconsidérer les troubles du sommeil à partir de ce modèle. On peut dire qu’aussi bien la difficulté de s’endormir que son impossibilité (angoisse de s’endormir), ainsi que les réveils nocturnes ruminatoires ont à voir avec la carence subjective. Le Moi, intempestivement, s’empare de la nuit et du sommeil à contre temps.
DES ENVIES ET DE LA PASSION
L’hypothèse qui permet de comprendre cette divergence entre la guérison banale et celle du psychanalyste est qu’il y aurait renversement dans la polarité dynamique qui advient au moment de la guérison. Il y aurait inversion de cette dynamique. Ou encore que la phase terminale aurait « le choix » entre deux dynamiques de coopération subjectivo moïque pour advenir. Tout se passerait comme si la fonction subjective ne serait pas le support, l’instance recours, pour que le moi puisse s’inscrire dans le collectif et satisfaire ses envies. C’est la fonction moïque qui serait alors le support du Sujet et lui permettrait une autre inscription dans le collectif et deviendrait le moteur d’un autre divertissement. Il y aurait donc deux modalités de divertissement : l’un moïque objectal et l’autre subjectif anobjectal. Le vecteur du premier serait les envies et le vecteur du second la passion. Passion qui pourrait prendre des formes différentes d’investissement : psychanalytique, artistique, mystique. Passion qui, en tout état de cause, pousse à l’Acte et non pas à l’investissement objectal. Ou pour le dire autrement, le divertissement passionnel est centré sur la production et l’actualisation de l’éprouvé d’Ex-Sistence. L’Ex-Sistence, unique objet de la passion du psychanalyste. C’est pourquoi l’intérêt pour l’Ex-Sistence ne tombe pas dans l’oubli à la fin de la cure. Il persiste et s’actualise dans la passion à faire advenir chez un autre cet éprouvé d’Ex-Sister dont on sait qu’il est manquant. Passion qui vectorise la présence singulière du psychanalyste dans le collectif. À savoir de représenter et d’actualiser la nécessité de l’instance subjective. Non pas seulement vis-à-vis de la réalité psychique d’un autre (le psychanalysant), mais aussi dans le collectif. Collectif qui, paradoxalement, dans sa structuration sous les espèces de la culture exclut la singularité subjective. Le support des modalités du vivre lui permet d’attester, de manière permanente, la nécessité du subjectif dans le collectif si on veut garantir, malgré tout, une dimension humaniste particulière. C‘est la fonction déjà attestée et tenue par l’artiste ou le mystique depuis la nuit des temps. Ce qu’il est essentiel de comprendre, c’est que cette dynamique particulière inversée, le psychanalysant doit, à la fin de sa cure alors qu’il est en passe de s’autoriser psychanalyste, obligatoirement en prendre acte. C’est cela qui est problématique. C’est la responsabilité du psychanalyste didacticien de permettre que cette prise de conscience s’opère. Ce qui nécessite d’abord un instant de voir véritable de ce qui se joue dans l’inversion de cette dynamique subjectivo topique, puis un temps pour comprendre qui permet d’en assimiler les conséquences d’une part dans la conduite des cures dont il prendra la responsabilité, d’autre part et ensuite dans la réalité sociale. C’est-à-dire dans sa manière de Vivre au quotidien. Ce temps pour comprendre, comme dans tout temps pour comprendre, s’actualise d’abord par la déconstruction des idées reçues qui pourraient s’opposer à la prise de conscience de ce phénomène d’inversion dynamique. Et donc d’en empêcher la prise de conscience. Absence de prise de conscience qui interdit la théorisation de ce qui détermine ce phénomène singulier. Théorisation dont le moment de conclure permettra l’assimilation et le passage du divan au fauteuil.
Si on voulait schématiquement caractériser les deux types de guérison, l’une normale l’autre qui se solde par le passage du divan au fauteuil, on pourrait dire que dans la guérison normale l’intentionnalité subjective est masquée, non prégnante, quoiqu’avérée, et permet à l’intentionnalité moïque d’enclencher les processus d’investissements objectaux qui sont le propre de ce type de divertissement ; alors que, dans la guérison qui affecte le psychanalyste, l’intentionnalité moïque en tant qu’elle permet l’entrée dans le collectif est débarrassée, totalement ou pour partie, des nécessités des investissements objectaux. Elle, l’intentionnalité moïque, permet d’intégrer le collectif et sert de support à l’intentionnalité subjective qui anime une passion sans objet qui consiste à actualiser, dans la cure comme dans le collectif, la prégnance nécessaire de la fonction subjective. Manière de présence au monde que le psychanalyste a, donc, en commun avec l’artiste ou le mystique. Et pour le dire de manière schématique, on peut affirmer que la structuration et la dynamique particulière qui affecte l’appareil psychique du psychanalyste est semblable à celle de l’artiste, quelque soit sa discipline, mais sans art ni talent ou à celle du mystique, mais sans foi ni croyances. D’ailleurs il n’est pas rare de voir apparaitre à certains moments de la cure de certaines des velléités artistiques ou religieuses. Mais ces velléités tiennent de l’éphémère et de l’inconsistance. Elles se tarissent aussi vite qu’elles apparaissent. Tout simplement parce que « ce n’est pas ça ». Mais « ce n’est pas ça » ne connote en aucune manière l’insatisfaction qui tient lieu de jouissance à l’hystérie. Il s’agit de l’inverse puisque ce qui fait que ces velléités artistiques ou religieuses se délitent c’est que, justement, elles ne permettent pas la jouissance subjective spécifique à laquelle, à ce moment de la cure, on commence à aspirer. Et, ce « n’est pas ça » entérine que les velléités artistiques ne rencontrent aucune prédisposition talentueuse et que l’aspiration imaginaire à la religiosité ne s’étaie sur aucune foi. Il ne s’agit donc pas d’une tentative ultime de trouver « un objet » qui donnerait « sens » pour pallier une absence subjective et un manque à Ex-sister. On assiste là à une tentative,certes infructueuse, pour inscrire l’inversion de la polarité subjectivo-moïque dans une modalité de fonctionnement psychique où l’Ex-sister prime le Vivre, sans le recours à aucun artéfact ou artifice que le talent ou de la foi génèrent. Ce qui ne va pas de soi et s’éprouve, comme je l’ai déjà évoqué, comme un scandale et s’accompagne d’une recrudescence paroxystique (pas toujours, mais parfois) de symptômes.
DE L’ÉNIGME DE LA RECRUDESCENCE SYMPTOMATIQUE EN FIN DE CURE
De fait, cette recrudescence paroxystique des symptômes s’avère anachronique au sens premier du terme. Cependant, se contenter de mettre le terme « anachronique » sur ce phénomène de recrudescence paroxystique symptomatique n’est pas suffisant. Cela consiste seulement à remarquer que dans cette phase terminale où la restructuration est advenue, elle n’a plus de raison d’être. Il convient donc de préciser pourquoi, malgré tout, elle perdure. Il faut se souvenir que les comportements symptomatiques relèvent d’un double processus mémoriel et ont pour objectif de rendre pérenne une présence au monde sur le mode de « survie ». C’est, à ce titre, des mécanismes de défense adaptatifs. Dans le temps de l’organisation névrotique, ces processus sont le bras armé permettant l’effectuation de la mythologie défensive qui est l’autre processus. Tout se passe comme si le fait de la déconstruction des mythologies qui permet à l’auto-organisation de procéder à la restructuration de l’appareil psychique anticipe la disparition des réactions comportementales symptomatiques parce que ces dernières ne ressortent pas des mêmes mécanismes mémoriels neuro cérébraux. La disparition des mythologies pathogènes relève de la mémoire déclarative épisodico-sémantique ; les symptômes proprement dits de la mémoire non déclarative procédurale. Ces symptômes s’avèrent alors autonomisés par rapport aux mythologies qui ont été à l’origine de leur mise en place. La réapparition symptomatique s’explique justement par cette déconnexion. Il n’y a plus liaison « synchronique » entre ces deux phénomènes puisque les mythologies se sont dissoutes. La réaction symptomatique est alors un vestige aberrant. On peut faire l’hypothèse de ce qui la déclenche « automatiquement » peut être un élément isolé d’une situation qui auparavant nécessitait cette réaction pour survivre. Mais le déclenchement peut aussi avoir lieu hors toute situation auparavant motivée psychiquement. Cet élément déclencheur peut être repéré dans un autre contexte que celui d’une situation psychique critique. C’est d’ailleurs le plus souvent le cas. Il y a anachronisme symptomatique puisque ces manifestations resurgissent malgré les disparitions des mythologies. C’est dire que du point de vue de la cure psychanalytique il n’y a « rien à comprendre ». En d’autres termes, ce phénomène n’a ni signification ni « sens » qu’il faudrait « analyser », ou « interpréter » pour déconstruire. Seulement prendre acte et faire savoir que cette recrudescence symptomatique interpelante est une persistance délétère d’un processus mémoriel de conditionnement procédural qui n’a pas été déprogrammé. L’abstinence n’est plus de mise. Il faut opposer une indifférence, un désintérêt, qui permet le déconditionnement. C’est là que les comportementalistes n’ont pas tout à fait tort, eux qui s’ingénient à « déprogrammer les symptômes » névrotiques. Mais ils ignorent le déterminisme mémoriel « épisodico-sémantique ». Alors que les psychanalystes ignorent (et nient), quant à eux, la dimension non déclarative « procédurale » de la réaction symptomatique. A contrario les comportementalistes ignorent la dimension « psychique » mythologique !
DU DESTIN DU VIVRE ET DES ENVIES CHEZ LE PSYCHANALYSTE
Je disais que précédemment que je considère que l’art ou le mysticisme ne ressortissent pas d’un quelconque investissement objectal. Ils ne relèvent pas d’une « envie ». Pour ce qui concerne l’art, l’artefact produit est une manière de signifier la primauté du subjectif enkysté dans un pseudo objet. Le talent ou le génie sert à cela. La foi, elle, ne s’embarrasse pas de produire un simulacre d’objet, elle exprime directement cette primauté, mais doit faire appel, d’une manière ou d’une autre, à la transcendance métaphysique pour « Penser » cette conviction improbable. Mais ce qui est certain c’est que ces trois positions d’être au monde (le psychanalyste, l’artiste, le mystique) ressortent toutes du divertissement anobjectal radical. D’un divertissement non pas objectal, mais passionnel d’où toute envie est exclue. C’est la guérison qui échoit naturellement (malheureusement !) au psychanalyste. Si on voulait pousser cette logique structurale à son extrême on pourrait même dire que, chez lui, il ne peut y avoir à proprement parler, de divertissements objectaux. De facto, on peut considérer que ceux-ci sont transformés en simples « distractions » qui permettent de participer aux activités ordinaires du Vivre et de s’intégrer à son collectif d’appartenance. C’est une manière d’affirmer que le seul divertissement authentique du psychanalyste est de psychanalyser et de penser l’Acte psychanalytique. C’est en cela qu’il se rapproche du mystique. C’est-à-dire de reconduire pour un autre, en déshérence subjective, et qui lui adresse cette déshérence, l’Acte psychanalytique qui lui permettra à son tour l’accès à cette subjectivisation. C’est pourquoi je terminais mon dernier livre par cette phrase en forme d’injonction énigmatique, et qui vaut pour tout psychanalyste, en affirmant que cette configuration dynamique subjectivo /moïque inversée ne laisse d’autres issues que « de se remettre à la tâche et mettre en œuvre ce qui a été pensé. Entre autres de psychanalyser encore et toujours ». C’est cette singularité topico dynamique qui lui permet de répondre à la détresse du vivre de ceux qui s’adressent à lui. Avec une réelle possibilité que se reproduise pour ceux-ci ce qu’il en a été pour lui. À savoir l’émergence subjective, dont l’absence ou la défaillance, cause cette détresse du vivre. La cure, tel qu’elle est agencée, consiste d’abord pour le psychanalyste à se faire le témoin et le récipiendaire de cette carence ou de cette défaillance subjective (c’est en cela qu’on peut parler de rencontre), puis d’être l’agent de sa réémergence. On peut même le dire de manière un tantinet grandiloquente et situer cet Acte comme permettant, dans la cure, le passage de l’hominidé « animaliter », pour reprendre le concept de Nietzsche que Heidegger élabore dans « Qu’appelle-t-on Penser ? », à la spécificité d’humain. Spécificité qui tient essentiellement à l’émergence du registre subjectif inconscient d’où s’origine la structuration auto organisée de l’appareil psychique. Et pour que ce passage se produise quand il y a fixation pathologique telle que je l’ai défini, il faut qu’il y ait du psychanalyste en position radicalement subjective. C’est une condition nécessaire. Mais il faut admettre que quoique toute personne qui s’adresse en psychanalyse soit susceptible de guérir, cette guérison est sujette tout de même aux aléas épigénétiques de l’auto-organisation psychique. Même dans la cure la mieux menée. Bien sûr cette formulation est de principe et tient aussi bien de la cohérence théorique que de la prudence technique. Aussi, il faut pour en circonscrire le risque, que cette passion se réfère à une théorie véritablement établie et procède d’une technique avérée dans la conduite de la cure. Je vous rappelle la sentence populaire : « sans technique le don (entendez la passion) n’est rien qu’une sale manie [6]». Une imposture, de surcroit inefficace.
Si on suit la logique de ce qui précède, la capacité durement acquise du Vivre, à cause de l’inversion dynamique, devient contingente et non plus une finalité téléonomique exclusive. Comme nous l’avons vu précédemment, cette capacité du Vivre permet liminairement à ceux qui sont affectés par cette inversion dynamique, de s’inscrire singulièrement dans le collectif sans véritablement que cette inscription, quoique nécessaire, soit vitale ; on pourrait dire qu’ils ne sont pas intéressés. Pas « vital », mais nécessaire tout de même. La menace de la désappartenance, de l’angoisse et de la mort est comme éliminée. Et l’appartenance, dans ces conditions, se présente comme autant de figures comportementales et relationnelles obligées. Figures obligées qui garantissent une bonne intégration sociale pour peu qu’on y sacrifie délibérément sans y croire. Sachant que les interdits et obligations qui les sous-tendent ne sont que des émanations de mythologies dont les structures, quoiqu’elles soient adaptatives, c’est-à-dire cohésives, n’en restent pas moins arbitraires. Ou pour le dire autrement, elles n’ont aucune justification ni ontologique ni métaphysique. À les prendre pour ce qu’elles sont c’est-à-dire de constituer les bases des civilités ordinaires nécessaires à « l’échange », la « convivialité » et même le « partage » ; on s’y conforme sans en être dupe. Sans aliénation. Manière élégante d’acter, tout en le travestissant, le lien social fait d’indifférence engagée sous les oripeaux d’une pseudo relation au semblable. Car il ne faut pas se leurrer le lien social comme mode d’appartenance au collectif, dont on ne peut se déprendre dans cette configuration psychique, décentre inéluctablement ce qu’il est convenu d’appeler « relations interpersonnelles ». Relations interpersonnelles qui se spécifient d’ordinaire du fait que l’autre est l’objet de sentiments, d’attentes, ou d’affects, alors que le lien social est, par définition, anobjectal. C’est pour cela qu’il m’arrive d’affirmer que la présence dans la réalité sociale du psychanalyste, quelles que soient les personnes les circonstances et les lieux, est semblable à celle qui convient pour conduire une cure. On ne peut y échapper. Bien sûr cette position subjective d’indifférence engagée telle qu’elle s’actualise dans la cure dans sa radicalité nécessaire, ne peut être reconduite à l’identique dans la réalité sociale. Elle doit être aménagée et, d’une certaine manière, adoucie de telle sorte qu’elle ne provoque pas chez l’autre un éprouvé d’exclusion, de rejet ou de mépris. C’est sur le versant « engagé » qu’elle se joue dans le collectif de telle sorte que la radicalité subjective n’occasionne aucun désagrément. Sinon, qu’on le veuille ou pas, on se trouverait inéluctablement, et à tout moment, en position de psychanalyse sauvage. Ce qui serait tout à fait inapproprié comme on dit maintenant.
Ce qui ne veut pas dire que cette manière de participer à la réalité sociale soit factice ou artificielle. Elle ne relève pas non plus de l’hypocrisie. Bien au contraire. C’est une manière authentique de participer à la vie familiale ou à celle des proches considérés comme membres d’une famille élargie. Mais aussi, cela devrait permettre de constituer un collectif singulier entre collègues. Collègues pour qui il arrive qu’on éprouve, parfois intensément, cette si particulière affection an objectal qui s’est substitué aux affres sempiternelles des sentiments réputés d’amitié ou d’amour propices à fomenter de la dépendance. La même affection qu’on a, explicitement, mais sans complaisance complice, pour nos psychanalysants de manière complémentaire à cette position d’indifférence engagée. Mais elle est alors transitoire et circonscrite à la durée de la cure et s’efface dès qu’elle se termine. Reste que cette position psychique singulière vis-à-vis des protagonistes du collectif dans lequel on évolue n’exclut ni les émotions ni les attachements. Toutes choses qui émargent au registre de la sensibilité. Il arrive même que cela entraine l’activation d’authentique effet de tendresse. Tendresse qui n’est pas seulement réservée par les adultes aux bébés et aux enfants ! Tendresse dont on a hérité la capacité phylogénétiquement et que l’on constate non seulement chez nos cousins les grands anthropoïdes, mais chez tous les mammifères et chez certaines espèces d’oiseaux. Tendresse qui attirent les corps et permet éventuellement le conjointement sexuel sans pour autant sacrifier à l’emprise et la captation de la relation d’objet. Cette expression particulière qu’est la tendresse quand elle emprunte la voie du conjointement sexuel, et celle des comportements qui l’entourent (préliminaires dit-on quand on est sexologue), permets d’éviter, c’est-à-dire faire l’économie, d’avoir à le justifier par le recours explicatif au « sentiment amoureux » toujours complice. Faire l’amour dit-on encore ! Cette idéalisation romanesque du sentiment amoureux édulcore et occulte ce qui, de fait, est mis en jeu dans ces comportements particuliers de relations d’objet. À savoir que chacun des protagonistes prend place, et consent, dans cette interaction à l’autre, d’être un objet à posséder et à soumettre, réciproquement dans le meilleur des cas, au prétexte d’un plaisir sexuel prétendument partagé. Croyance qui ouvre la boite de pandore de la dépendance et de la soumission aliénante. La psychanalyse freudienne parce qu’elle met la libido, et la relation d’objet, à l’origine et au centre du fonctionnement de l’appareil psychique entérine « scientifiquement » cette conception du conjointement sexuel « amoureux » au nom du principe de plaisir. Tout ça parce que l’instinct procréatif aurait été chez l’homme dénaturé quoique la capacité d’excitation sexuelle et d’orgasmes persiste sans véritable utilité. En ce qui concerne l’orgasme, en tout cas féminin, ce constat de dénaturation peut trouver une explication physiologique quant à la fonction perdue du clitoris dans la reproduction. En effet, en ce qui concerne l’orgasme certains chercheurs lui trouvent une explication phylogénétique. Ils font l’hypothèse qu’il s’agirait chez la femme d’une survivance archaïque datant de 65 millions d’années justement avant que l’ovulation soit devenue cyclique. À cette époque cette réaction neuro cérébrale orgasmique libère des hormones qui déclenchent l’ovulation. On retrouve encore maintenant cette particularité chez certains mammifères (le chat, le lapin, le chameau par exemple). Mais plus chez les hominidés. L’ovulation cyclique, d’un point de vue biologique, rend le réflexe orgasmique inutile. Il serait donc un vestige de l’évolution à qui il faudrait donner « un sens » nouveau. Forcément idéalisé. Encore qu’il semble que ce mécanisme joue toujours dans certaines situations de conjointement sexuel à des moments d’émotion intense. Il déclencherait des grossesses hors cycle. Et même contrecarrerait les méthodes contraceptives modernes. Chez l’homme il déclenche toujours l’émission spermatique. Il aurait donc encore une fonction procréative. Mais, au fond, cette transformation n’a rien de véritablement traumatique et n’est guère énigmatique. Il n’y a pas de quoi la fétichiser par idéalisation, en faire le fondement du principe de plaisir et la généraliser au fonctionnement énergétique de l’appareil psychique. Pourtant Freud la pose à l’origine de sa mythologie sexuelle au prétexte que nous, Homo Sapiens, ne serions pas revenus de cette évolution de la perte de l’œstrus et de l’inutilité consécutive de l’orgasme. Cette aberration théorique est maintenue comme indépassable par les archéo freudiens. Sans doute pas chez les psychanalystes orthodoxes de l’École de la Cause milleriens. Intellectualisation philosophique de la cause du Sujet par le truchement du signifiant et de l’inconscient structuré comme un langage oblige ! Mais elle perdure chez les psychanalystes archéo-freudo-lacaniens qui sont eux adeptes de cette chimère que Lacan a bricolée, au sens Lévi-straussien de la pensée sauvage, en tentant de faire aller ensemble la carpe libidinale et le lapin du signifiant. En tout état de cause, la psychanalyse n’est pas pour rien dans la dérive qu’a pris la dimension sexuelle dans la société contemporaine. Non pas qu’elle l’ait initiée, mais elle a contribué à la valider en lui donnant une assise mythologique pseudo scientifique et en étayant, de surcroit, le culte de l’individualisme sous les espèces « transgressives » de la libération sexuelle…Et favorisant, de ce fait, la marchandisation de son exercice par sa reprise de diverses manières dans l’économie capitalistique de l’offre et de la demande ! D’ailleurs les sociétés de chasseur-cueilleur ne semblent pas attester de ce traumatisme et de cette nostalgie de l’œstrus perdu. Le plaisir d’organe ne leur fait pas problème. Il semble que leur préoccupation se limite, quand il s’agit de procréation, à sortir de la tyrannie de la lignée biologique pour instituer l’alliance sous les formes de règles élémentaires de la parenté qui permet de structurer le collectif et l’appartenance. Ce qui est tout à fait autre chose et est essentiel. Le plaisir « d’organe sexuel » comme résultant des mécanismes neuro cérébraux de la récompense, y est mis à sa juste place. Mais, me direz-vous, ce sont des sauvages. Il est vrai que fonder la relation sexuelle sur l’actualisation particulière de la tendresse (sur le mode Bonobo, mais dans la sphère duelle intime) ne parait guère folichon. C’est sans doute assez désuet. C’est ramener l’excitation sexuelle à ce qu’elle est en la désidéalisant : un instinct dénaturé avec lequel il faut faire avec en le transformant en envie. Mais il me semble que du point de vue de la théorie psychanalytique structurale cela a une certaine pertinence. Cela range cette « envie » à sa jute place dans le concert des autres envies. Place, sans doute, assez secondaire dans la vectorisation du Vivre. Mais une place du côté de l’intime exclusivement. Cela permet de déconstruire ce qu’il en serait de la prétendue fatalité et tyrannie du « plaisir d’organe » en cessant d’en appeler au recours de l’improbable « sublimation » de « l’amour oblatif » et l’idéalisation de l’orgasme pour les rendre acceptables ou de donner, à contrario, une unique justification « procréative » comme le fait le catholicisme.
Ce que j’énonce là ne concerne que la problématique de l’attirance et de l’excitation dans le conjointement sexuel ordinaire. Mais cela ne dit rien de ce qu’il pourrait en être d’un « Acte sexuel ». Acte sexuel qui ne s’articulerait pas comme une envie dans la quête d’un plaisir moïque. Il mettrait en jeu l’instance subjective et la jouissance dans une rencontre qui ne serait pas de l’ordre d’une relation objectale. Ce petit développement est un prolégomène à un développement ultérieur.
Merci de votre attention,
Marc Lebailly
[1]Le Singe Nu Desmond Morris
[2] L’Ontophylogénèse J‑J Kupiec ; éd. Quæ
[3] Paul Verlaine, Le ciel est, par-dessus…
[4] Joachim Du Bellay, Les Regrets
[5]Il n’y a pas d’amour heureux, Louis Aragon
[6]Georges Brassens Le Mauvais Sujet Repenti
Bien sûr, là où nous en sommes, je suis persuadé que vous avez déjà une petite idée de ce qui anime quelqu’un qui, au sortir de sa psychanalyse, s’engage à psychanalyser. « S’autorise » comme on dit. Qu’est ce qui fait donc qu’on s’annonce, dans la réalité sociale, comme psychanalyste ? Car psychanalyser est, comme je m’en suis expliqué, une pratique sociale. Et c’est une illusion que de croire que cet Acte est extra territorial. Je dirais même que c’est une pratique culturelle. Une pratique culturelle non empirique mais scientifique qui s’étaie à la fois sur une théorie de la réalité psychique, que Freud avait pressentie en lui donnant pour champ l’appareil psychique et sa métapsychologie topique-énergétique-dynamique, et sur la théorie de la réalité sociale que Jakobson, Lévi-Strauss et Chomsky ont originée de l’aptitude neuro cérébrale au langage. Comme il m’arrive de le dire cette interrogation toujours reconduite de cette prétendue énigme du désir du psychanalyste et, concomitamment, du mystère de la transmission, relève du secret de polichinelle. Secret de polichinelle entretenu par des générations de psychanalystes. Sans doute peut-on dire qu’il ne peut en être autrement au prétexte qu’on ne poserait pas cette problématique de la bonne manière. C’est sans doute exact. Mais si on ne pose pas cette problématique de la bonne manière c’est parce qu’on n’a pas à disposition le bon cadre théorique qui permet de la poser. Donc d’y apporter une réponse consistante. Ce qui n’empêche qu’indéniablement il y a des psychanalystes. Et qui plus est, reconnus par la communauté psychanalytique. C’est d’ailleurs une des finalités des associations de psychanalystes. Il y a donc des psychanalystes qui depuis Lacan « s’autorisent d’eux mêmes » et des communautés psychanalytiques qui en attestent. Pour ce qu’il en est de « s’autoriser » c’est surement une manière indirecte de reconnaitre empiriquement que pour ceux qui s’y autorisent il y a quelque chose, disons, d’impératif. Mais cela en reste là. Il n’y a pas d’articulation théorique qui permettrait d’auto valider, ou d’être repéré par un tiers, cette manière d’impératif. Quant à la reconnaissance par une association de psychanalystes faisant communauté, puisqu’il n’y a aucun repère théorique, il s’agit bel et bien d’une cooptation sociale. Du genre « tu est des nôtres ».On se contente parfois d’interroger le psychanalyste réputé « didacticien » ou, s’il y en a, les « contrôleurs ». C’est un moindre mal. J’ai rappelé précédemment que cette question du « désir du psychanalyste » ne se posait pas pour Freud. Pour des raisons bonnes ou mauvaises. Quand je dis « bonnes » il faut entendre qu’elles semblent rationnelles et logiques. En effet comme Freud avait la conviction d’avoir initié et produit une véritable théorie scientifique analytique de l’appareil psychique, il suffisait donc, comme dans toute pratique issue d’une science, d’en connaitre les tenants et les aboutissants et en appliquer les conséquences dans la technique de la cure. Bien sûr, cette conviction s’effondre si la psychanalyse n’est pas une science. C’est le même raisonnement qui permet de considérer que l’exercice de la médecine relève de la science. Ce n’est pas une science proprement dite, elle s’appuie sur des sciences mais c’est une technique. Si on connait la théorie psychanalytique et la technique de la cure, alors on est psychanalyste. C’est sur ces principes erronés que les archéo freudiens « enseignent » encore la psychanalyse. J’ai aussi évoqué de mauvaises raisons. Je m’en suis déjà expliqué en évoquant l’hubris prosélyte de Freud. Il voulait absolument que la psychanalyse conquière le monde pour sa plus grande gloire. Il n’a pas trop mal réussi.
Lacan avait perçu qu’on ne pouvait se résoudre à cela. D’où la promotion de ces pseudo concepts de « désir du psychanalyste » et de « transmission » dont ni lui ni personne n’est capable de dire de quoi ils se constituent. Mais il faut reconnaitre que cela a la vertu d’identifier que n’est pas psychanalyste qui veut. Qu’il y a chez celui qui s’autorise à psychanalyser une singularité oxymoralement générique chez tous les psychanalystes. C’est de cette singularité, disons par anticipation psychique, que s’autorise l’autorisation. C’est tout à fait important de l’énoncer comme cela, que l’autorisation est une conséquence d’une singularité psychique. C’est tout à fait important parce que cela permet d’affirmer que cette autorisation ne dépend pas d’un tiers ni même d’une « transmission » ésotérique qui ferait effet de contamination. Cela permet de remettre à sa juste place ce qu’il en est de la « transmission comme intransitive ». Du coté d’un pur acte d’énonciation. La transmission ne fait pas le psychanalyste mais elle lui est nécessaire. Poser comme cela on peut sans doute avancer quelque chose d’objectif sur ce passage du divan au fauteuil. Ce passage du divan au fauteuil s’opère alors « naturellement » si on considère qu’à ce moment conclusif il y a possibilité de tenir, à cause de cette singularité, la position subjective humanisante nécessaire et suffisante pour que le protocole de la cure opère, à terme chez un autre, le relancement d’une autre structuration psychique. Protocole de la cure dont précédemment j’ai tenté de donner une articulation et un fondement théorique autre que les justifications habituellement invoquées. Manière de théoriser autrement ce protocole essentiel pour la conduite de la cure structurale constitué de ces deux dispositifs : le premier étant ce qu’il est convenu d’appeler, après Freud, la règle fondamentale, le second étant le dispositif spatial divan/fauteuil. Il s’agit de dépasser les injonctions empiriques freudiennes justifiées par des raisons plus ou moins folkloriques et de proposer une argumentation objective qui explique en quoi ce protocole est nécessaire et opératoire.
Je vous rappelle pour mémoire, comme je l’ai exposé dans le dernier séminaire, comment dans la psychanalyse structurale on considère théoriquement d’une part l’injonction empirique freudienne de la règle fondamentale qui consiste à anticiper le fonctionnement stochastique du registre subjectif inconscient en préconisant de « dire ce qui vient sans contraintes réflexives ni censure » et l’apport dans la séance des évènements incongrus que sont les lapsus, les actes manqués et surtout les rêves. L’hypothèse est que cette injonction relève de l’artifice qui reproduit et simule le fonctionnement dévolu au registre inconscient d’être l’amorçage de l’auto organisation psychique. Etant entendu que, dans les névroses et la perversion, cet amorçage est ou empêché ou détourné de son intentionnalité perturbatrice et, de ce fait, bloque et interdit le processus d’auto organisation psychique dont on suppose qu’il doit s’exercer de manière continue pour assurer l’adaptation.
Par ailleurs je me suis attaché à donner une assise théorique au deuxième dispositif qui donne un cadre à la cure. Donner une détermination logique et rationnelle à la disposition spatiale divan/fauteuil qui sert de cadre à la continuité de la cure. Je me suis attaché à lui donner comme fondement, et comme origine, une aptitude universelle et phylogénétiquement programmée à l’affinité élective qui « naturellement » s’avère nécessaire à la mise en place, dans la phase terminale de la structuration ordinaire de l’appareil psychique et de la dynamique Sujet/Moi, dés lors que se sont évacuées les instances substitutives que j’ai appelé la constellation moïque : Moi Idéal – Idéal du Moi – Surmoi. Pour ce faire j’ai fait référence d’abord à Montaigne, et à sa position vis-à-vis de la Boétie, puis surtout à Goethe et à Max Weber qui promeuvent ce concept d’affinité élective. Si j’ai évoqué Max Weber, c’est parce que sa conception des affinités électives (entre l’Esprit du capitalisme et L’Ethique du protestantisme) en donne une variante non seulement désexualisée mais hors, aussi, de toute sentimentalité. Ce qui est, du point de vue de la psychanalyse structurale, essentiel. En effet l’hypothèse que je propose est que le dispositif spatial divan/fauteuil métaphorise, ou actualise spatialement, les conditions de la dynamique Sujet/Moi qui se met en place et qui se joue dans ce que Goethe repère comme relation incontournable et naturelle quand il s’agit d’attirance amoureuse. J’ai proposé que dans les affinités électives de la vie de tous les jours qui ne sont pas amoureuses, chaque protagoniste joue, pour l’autre, l’une ou l’autre de ces deux instances et réciproquement. Il y a dans cette relation particulière réversibilité des positions tenues. Chacun représente pour l’autre aléatoirement et réversiblement l’un ou l’autre de ses deux pôles à partir desquels se constitue la dynamique subjectivo-moïque. Il y a symétrie. C’est à partir de cette aptitude phylogénétiquement acquise que Freud propose, à son insu, ce dispositif spatial pour structurer la cure. Je soupçonne même que Freud ait eu l’intuition confuse d’en modifier la dynamique sans jamais y parvenir. Cette intuition n’a sans doute pas échappé à Lacan qui a tenté lui aussi, et tout aussi empiriquement, d’en actualiser quelque chose de plus radical. Mais leurs présupposés ne leur permettaient pas d’aboutir. Pour le redire vite, Freud supposait à tort que la relation psychanalytique dans la cure était le fait de deux Moi (puisqu’aussi bien le concept de Sujet ne faisait pas partie de l’armature de son élaboration) et que par ailleurs le psychanalysant n’y est pas moïquement mais met en scène la conflictualité de sa constellation prémoïque (Moi Idéal – Idéal du Moi – Surmoi); Lacan considérait, lui, que la relation entre le psychanalyste et le psychanalysant dans la cure était intersubjective. Pourtant leur intuition était sans doute qu’il fallait agencer une asymétrie entre le psychanalyste et le psychanalysant. Mais étant donné leurs présupposés théoriques, il était bien difficile de réaliser cette asymétrie dans l’espace de la cure puisqu’ils postulaient que cela se passait ou entre deux « Moi » ou entre deux « Sujets ». Aussi, agencer une asymétrie entre deux Moi ou deux Sujets est une gageure. L’une et l’autre disposition entraine inéluctablement l’installation du psychanalyste en « Sujet supposé savoir » dont il est impossible de se déprendre. Et ce qui a pour conséquence une entrave à la conduite de la cure et, donc, à sa menée à bonne fin.
Si on admet que le processus d’affinités électives a pour fonction d’instaurer terminalement la dynamique Sujet/Moi et qu’il se structure dans une asymétrie réversible, la transformation qu’il faut artificiellement introduire à ce dernier consiste d’une part à le débarrasser de sa réversibilité et d’autre part à considérer que dans ce colloque particulier qu’est la cure psychanalytique structurale le psychanalyste incarne la position subjective et le psychanalysant met en scène la conflictualité répétitive de la dialectique de ses instances substitutives pré-moïques qui lui tiennent lieu à la fois de prothèse subjective et moïque puisqu’aussi bien aucune de ces instances n’est véritablement advenue. Le dispositif divan/fauteuil actualise cette a‑symétrie topique irréversible tout au long de la cure. En tout cas il la symbolise spatialement.
Reste qu’une fois théorisés de cette manière ces deux dispositifs qui constituent le protocole de la cure, l’énigme, ou la prétendue énigme du prétendu « désir du psychanalyste » se déplace et peut se formuler d’une manière différente. La question qui se pose alors n’est plus celle de « l’envie » ou du « désir » (ce qui revient au même), mais quelle singularité psychique permet de tenir cette place subjective irréversible tout au long de la cure structurale et qui permet de la mener à bonne fin. Eventuellement, mais pas toujours. Et de tenir cette position « naturellement ». Car bien évidemment tenir cette position ne se décide pas volontairement (moïquement) et ne dépend absolument pas seulement de l’observance et de la mise en pratique d’une théorie et d’une technique. Conduire une cure n’est pas de l’ordre d’un savoir faire artificiel. Pas plus qu’il ne résulte d’un apprentissage ou même d’une transmission. Une transmission (énonciative) n’opère que pour autant qu’il y ait déjà singularité. De quelle singularité psychique le psychanalyste, et quelques autres, est il constitué ? Voilà la question qui n’est pas une énigme mais pousse à en donner une réponse théorique. C’est-à-dire métapsychologique. Et, bien évidement, posée ainsi, il est plus aisé d’y répondre.
Reste que là où j’en suis dans l’articulation de la réponse à donner à cette question qui permettrait de donner un contenu autre que flou et phénoménologique à cette référence à un prétendu « désir du psychanalyste », il faudrait tout de même récapituler toutes les mauvaises raisons auxquelles on fait appel pour lui conférer un semblant de contenu. Etant entendu que même le mathème du « discours du psychanalyste » s’il parait apporter un éclairage — ou à tout le moins permettre d’en déduire ce qu’il en est de la position psychique du psychanalyste — ne me parait pas pertinent. D’ailleurs, si on se réfère aux dernières interventions de Lacan, il est évident que cela ne lui paraissait pas à lui-même répondre à ce qu’il en est de ce sempiternel désir. La seule chose qui soit claire est que cette intention de psychanalyser advient en toute fin de la cure. C’est à ce moment conclusif que cette « idée folle » s’actualise véritablement. C’est un indice crucial car toutes les velléités qui étaient agitées avant ce moment de conclure ne peuvent pas être retenues comme étant sous tendues par une intentionnalité réelle. Il y a là une véritable prise de conscience qui, pour certains, peut-être douloureuse et occasionner une recrudescence symptomatique tout à fait spectaculaire.
Mais, incongrue. Comme s’il fallait à tout prix, éviter cette issue, disons, obligée. En tous cas éviter à tout prix les conséquences que cela entraine dans la vie hors le fait de psychanalyser. A dire vrai, comme je l’ai déjà évoqué, il n’est pas rare que cette recrudescence symptomatique affecte aussi la fin des psychanalyses que je répute « ordinaires ». Celle qui donne accès au Vivre et aux divertissements axés sur les envies. Mais dans cette perspective cela s’explique plus par une difficulté de s’annoncer moïquement dans le collectif et par voie de conséquence de renoncer au confort amer de la survie. Il faut admettre qu’il est normal que l’accès au Vivre dans le collectif provoque de la peur. On en est témoin dans le passage de l’adolescence à la position d’adulte. Dans nos sociétés développées, on ignore cette réalité des épreuves et des souffrances, qui émaillent la structuration psychique. On fait comme si cela était un progrès enviable et merveilleux et on réduit ces passages successifs à des histoires d’acquisition de connaissances et de performances intellectuelles qui, si elles sont attestées, tiennent lieu de droit d’initiation suffisant. Or il s’agit d’abord d’un phénomène de structuration et de finalisation de l’appareil psychique. Si celles-ci échouent alors l’accès aux savoirs et aux performances intellectuelles sont empêchées ou interdites. Ce que les crises d’angoisse et attaques de panique qui prennent à ce moment crucial les enfants et les grands adolescents et les jeunes adultes, dénoncent. Il ne s’agit ni d’acquisition de savoir, ni de performances intellectuelles. Ce sont des symptômes d’échec des structurations successives et terminales de l’appareil psychique. Les sociétés de chasseurs/cueilleurs en prennent acte en scandant tous les passages de rituels initiatiques de manière « symbolique » et non pas technique. Ça peut aider et retentir sur la structuration de l’appareil psychique. Ce que nos sociétés développées dénient, voir ridiculisent. L’initiation c’est une pratique de sauvages ou de barbares ! On y pallie en faisant appel au « psy » de service, ou au médecin, à l’orthophoniste ou à l’ergothérapeute qui font alors office, souvent à leur insu, de passeur « symbolique » (dans le meilleur des cas) à l’instar des initiés dans les sociétés de chasseurs cueilleurs.
Pour en revenir à cette réaction paroxystique qui submerge certains de ceux qui se découvrent destinés à la psychanalyse, il faut remarquer que cela peut se passer autrement. Il y en a d’autres pour lesquels ce passage s’opère naturellement, c’est-à-dire sans réactions paradoxales. Ils s’autorisent, alors sans bien percevoir par quoi cette autorisation est déterminée. Parfois ils en ont une sorte d’intuition confuse et informulable. On peut penser que si cela avait été formulable le dispositif de la passe eut fonctionné ! Ce qui n’est pas le cas. Et pour cause : il ne s’agit pas d’une auto autorisation proprement dite du « désir d’être psychanalyste ». Comme je l’ai déjà avancé cette formule est un constat : il y en a qui s’autorisent à psychanalyser. Mais rien n’est dit sur ce qui motive, précède et justifie ce constat d’autorisation. Vous avez sans doute noté que j’avance qu’il ne s’agit pas seulement d’une auto autorisation. C’est là que les « quelques autres » auxquels Lacan faisaient le pendant de son « le psychanalyste s’autorise de lui-même » prend toute son importance. Je dirais, moi, d’un autre en particulier : le psychanalyste de celui qui s’autorise. Non pas qu’il lui donne ou légitime cette autorisation. Mais bien qu’il permette à celui qui est en passe de s’autoriser de prendre connaissance du pourquoi il en vient à s’autoriser ou à cause de quoi il y est déterminé. C’est-à-dire de quelle singularité psychique elle est issue. Comme vous pouvez le constater, cette affirmation est l’inverse de ce que Lacan attendait de la passe. L’espoir de Lacan était que le psychanalysant, qui était en passe de s’autoriser, pouvait en donner la théorie. En quelque sorte, il était mis à la question d’avouer ce qui justifiait qu’il s’autorise à des psychanalystes censés n’en rien savoir ! Ce qui est tout de même insensé.
Quoique je ne sois pas un universitaire qui, avant d’y aller de ses petites bavasseries personnelles, tente de prendre en compte toutes les autres bavasseries que d’autres ont proférées avant lui, il me parait tout à fait important, et partant tout à fait utile, de revenir de manière systématique sur la présentation, et la réfutation, de tout ce qui a été élaboré plus ou moins théoriquement sur cette question de l’auto autorisation et du psychanalyste. Il ne s’agit donc pas d’érudition, mais plutôt d’une nécessité épistémologique. Et pas seulement d’épistémologie critique. Pas seulement critique parce que la déconstruction de ces élaborations, qu’elles soient franchement mythologiques ou d’apparence psychologique ou pseudo scientifiques, n’a pas pour seul but d’en démontrer l’inanité mais de faire apparaitre la part de réalité qu’elles recèlent en l’occultant. Manière de dévoiler ce qu’elles masquent et qui, néanmoins, dit quelque chose sur ce phénomène d’auto autorisation. Car avec la formulation de « désir du psychanalyste » sur laquelle je ne suis guère en phase, il m’arrive d’y sacrifier puisque c’est la formule habituellement retenue pour évoquer ce phénomène. Je dirais, moi, la forme et dynamique que vectorise cette intentionnalité psychique, dont procède cette autorisation. En effet, je ne sais pas bien en quoi le « désir », si on n’exclut pas la pulsion et la libido, se spécifie par rapport à l’envie sauf à en faire une envie anobjectale. Ce qui est contradictoire dans les termes si on tient le désir, avec Lacan, du coté de l’intentionnalité subjective. L’envie, si vous l’avez oubliée en chemin, dans les termes qui sont les miens, découle du concept kleinien qui prend sa dynamique dans l’agressivité et dont l’Invidia est le prototype. L’envie imaginaire est alors la transformation de la modalité de l’Invidia où la dimension éliminative est, si ce n’est éradiquée, du moins différée au profit de celle appropriative. C’est donc une intentionnalité moïque qui nécessite un objet pour s’activer et dans le même temps le crée par la vertu de la langue dans laquelle cette agressivité est prise. Elle isole, grâce à la langue, les contours du dit objet, elle lui attribue une singularité enviable sans idéalisation. C’est dire que les relations d’objets ne nécessitent plus l’intervention de l’Idéal du Moi. Puisqu’aussi bien quand il s’agit d’activer le divertissement, ce à quoi la relation d’objet sert, cette instance s’est dissoute. La relation d’objet qui permet le divertissement est donc purement moïque et imaginaire. Bien évidemment ce dont je parle là c’est une relation d’objet « pure et parfaite ». Théorique donc et sans doute jamais observable. Ce petit rappel permet de revenir sur le slogan lacanien qui intime que l’on ne devrait pas « céder sur son désir » quel qu’il soit et a fortiori quand il s’agit de psychanalyser. Mais cette formulation, même si elle semble marquée au coin du bon sens, est peu convaincante. Si on la prend au pied de la lettre cela laisse entendre que ce désir de psychanalyser relèverait, qu’on le veuille ou non, d’une intentionnalité d’une volonté ou d’une décision conscientes. Ce qui impliquerait qu’on ne fasse plus la différence entre « envie » et « désir ». D’ailleurs pour la plupart des psychanalystes le « désir » parce qu’il est sexuel, se manifeste comme une « envie ». La seule chose qui serait alors établie serait qu’il n’est pas déterminé par « l’Idéal du Moi » ou le « Surmoi ». Ce qui est déjà ça d’acquis, puisqu’on fait l’hypothèse que ces instances se seraient effacées au profit de la seule instance moïque. On se trouve alors obligé de supposer que cette envie moïque s’actualise sous l’impulsion issue du Sujet de l’inconscient. Ce qui peut être soutenable. Ou tout au moins cette hypothèse ne fait que repousser la question d’une « intentionnalité consciente » à une « intentionnalité inconsciente ». La question devient alors de savoir de quoi est constituée cette intentionnalité inconsciente. Et nous voila encore dans l’impasse. Ce qu’on peut considérer c’est qu’il peut y avoir une envie légitime de connaitre ce qu’il en est de la théorie et de la clinique psychanalytique par tout un chacun mais cela n’explique pas pourquoi certains sont contraints à psychanalyser et d’autres pas. On peut, certes, évoquer l’ambition d’un statut social. Mais ce n’est pas convaincant puisqu’aujourd’hui cela ne confère plus aucun prestige social. Bien au contraire : la psychanalyse est de plus en plus décriée. Reste qu’il y a encore des tas de gens, mais pour combien de temps, qui pour des raisons variées, s’intéressent à ce que l’on considère toujours comme une théorie psychanalytique. Dont ceux qui se disent psychanalystes.
Si on veut sortir de ces discussions byzantines, il faut poser l’hypothèse qu’il y a bien une intentionnalité dont procède l’autorisation de psychanalyser et que cette intentionnalité n’est pas moïque mais relève du registre subjectif quoiqu’il faille qu’elle soit reconnue « consciemment », c’est-à-dire moïquement, pour s’effectuer dans la réalité sociale. Cette formulation revient à constater qu’il y a bien une détermination psychique dont l’origine est inconnue qui, néanmoins, pour s’actualiser, doit être reconnue et prise en charge volontairement comme une vulgaire « envie ». Comme n’importe quelle autre « envie ». On peut donc avancer que ce qui se joue en fin de psychanalyse, quand elle débouche sur ce que l’on convient de repérer comme une auto-autorisation à psychanalyser, consiste simplement à non seulement prendre conscience des déterminants de cette aspiration mais aussi à s’engager à l’acter dans la réalité sociale. La formule « le psychanalyste s’autorise… » prend alors la forme d’un simple constat qui n’explique rien et « ne pas céder sur son désir » s’il est suggestif est une injonction inutile puisqu’on verrait mal comment le Moi pourrait interdire la réalisation de cette intentionnalité subjective péremptoire. C’est au mieux une manière de réassurance du genre « puisque ces mystères nous dépassent feignons d’en être l’organisateur » (Jean Cocteau). Reste que cette prise de conscience qui entraine une effectuation de l’Acte de psychanalyser, contrairement à ce qu’on pourrait croire, n’est pas aussi facile que cela à assumer pour celui à qui elle advient. Il m’est arrivé d’entendre que cette position singulière qui s’impose en fin de psychanalyse à certains n’est pas simple à entériner. Comme si assumer de l’Acter dans la cure et surtout de s’affirmer psychanalyste dans la réalité sociale tenait d’une sorte de condamnation. Ce qui suffirait à montrer qu’il ne s’agit pas seulement d’une « envie » moïque puisque le Moi se rebiffe ! Tout se passerait comme si, dans le même temps, on s’avisait que les joies du Vivre nous étaient, du même coup, devenues inaccessibles. Ce n’est pas comme cela qu’on s’imagine, en général, la guérison. Evidemment si dans cette phase terminale on pouvait dévoiler de quelle nature cette détermination à psychanalyser est constituée, cela pourrait avoir un effet. Et c’est possible. En tout état de cause cette tâche revient au psychanalyste. La moindre des choses est que le psychanalyste fasse advenir dans la cure la cause métapsychologique de cette détermination. Et comment se fomente cette intentionnalité.
J’ai bien conscience que tout cela se présente maintenant de manière limpide. Et que je semble me répéter. Mais c’est pour montrer que cette clarté n’est qu’apparente. C’est une obscure clarté parce qu’elle ne dit rien sur la nature (la cause de cette détermination) de cette contrainte psychique à psychanalyser. Contrainte psychique que phénoménologiquement on attribue à un processus endogène. J’en avais appelé au deus ex machina de l’auto organisation. Ce n’est pas faux, mais tout à fait insuffisant. Cela nous fait une belle jambe de s’en remettre au mystère de l’auto organisation. Ce n’est pas plus explicatif que d’évoquer la vertu dormitive de l’opium pour expliquer pourquoi l’opium fait dormir … c’est une tautologie circulaire. Cela ne dit absolument pas à partir de quelle configuration du fonctionnement psychique singulier cette auto organisation s’avère. Cela permet seulement d’écarter tous les lieux communs et les affabulations qui entourent cette perspective de singularité. D’en finir définitivement avec les explications raisonnantes qu’on sert en général pour la justifier. Vous avez sans doute une petite idée concernant la solution de cette prétendue problématique. Comme je l’ai déjà annoncé, cela tient du secret de polichinelle… Mais il convient de l’étayer c’est pourquoi, il me semble qu’il faut avoir une approche épistémologique de diverses versions et thèses qui obscurcissent sa compréhension. Quoique cela puisse vous paraitre fastidieux, voire inutile, on doit récapituler systématiquement ce qui a déjà été évoqué. On va procéder pseudo chronologiquement.
DU DÉSIR DU PSYCHANALYSTE COMME PRÉTENDUMENT MOTIVÉ PAR LA MISE EN ŒUVRE D’UN SAVOIR OU D’UNE SCIENCE PSYCHANALYTIQUE
Du temps de Freud, des pionniers si on peut dire, se déclarer psychanalyste cela était assez simple. D’autant que Freud était dans une Hubris prosélyte. Il lui fallait des adeptes. Il suffisait, schématiquement, d’être intéressé par la nouvelle doctrine au point de s’en imprégner et de souhaiter s’en servir pour soigner les souffrances psychiques des contemporains. Il était sans doute nécessaire, dans un premier temps, de se faire connaitre par Freud et d’obtenir son adoubement. Il y avait cooptation pour appartenir à ce que Freud appelait lui-même la horde sauvage. A cette époque il n’y avait aucune obligation de formation particulière. On pouvait être pasteur, médecin, psychiatre, philosophe ou littéraire, peu importait pourvu que l’on se déclarât adepte du maître. Cette hétérogénéité de formation initiale, Freud en théorise, tardivement, la raison dans son article de 1926 « La Question de l’analyse profane » (Laieanalyse) que l’on traduit aussi par « Psychanalyse laïque ». En tout état de cause de la même manière qu’il dissociait la psychanalyse de la philosophie, il défendait l’idée que la psychanalyse ne doit pas être affiliée à la médecine. Ce n’est pas une pratique médicale au sens classique du terme. Ce ne sera pas la position ultérieurement de toutes les associations de psychanalystes. En particulier en France. Reste tout de même que Freud accueillait plus favorablement les médecins, surtout quand ils n’étaient pas juifs, parce que cela donnait une crédibilité scientifique à ses assertions « révolutionnaires ».
Dans les termes qui sont les miens, pour être psychanalystes il fallait en déclarer « l’envie » et mettre cette envie à l’épreuve d’une possible cooptation d’abord par Freud, puis ensuite par les associations patentées de psychanalystes. Cooptation qui dépendait moins d’un savoir exhaustif acquis que d’une volonté consciente d’exercer la psychanalyse. Puisqu’on était dans une phase pionnière, on considérait que l’on participait, avec le Maître, à l’édification de son corpus. Freud semblait souscrire à cette conviction. A ceci près que les idées proposées par d’autres, si Freud les jugeaient bonnes, il les intégrait à son œuvre comme si elles étaient à lui. « Ce qui est de moi est à moi, ce qui est de toi est discutable et si l’idée qui est de toi est valable alors, elle est à moi ». De fait, il n’y a, à cette époque, qu’un psychanalyste : Freud. Les autres ne sont que des épigones. Un mandarin et des élèves prosélytes. On retrouvera cette organisation avec Lacan quoiqu’elle soit déniée. Elle est d’ailleurs le décalque de celle de la médecine, telle qu’elle est maintenue encore aujourd’hui avec le serment d’Hippocrate. Il y a donc dépendance au Maître des épigones et des élèves. En d’autres termes, on est autorisé à réfléchir sur le penser du maître mais pas à la pensée du penser pour son propre compte. Ce qui est fâcheux pour un psychanalyste. Tout cela pour en venir à la conclusion que dans cette perspective des premiers temps de la psychanalyse, la conduite de la cure s’apparente seulement à un divertissement moïque. C’est-à-dire imaginaire. On retrouve l’irruption de cette « envie » dans bon nombre de cures psychanalytiques … C’est alors de l’ordre de « si qu’on disait que je serais psychanalyste », à la manière dont les enfants s’imaginent être pompier ou hôtesse de l’air, ou star de la chansonnette. Mais quand on dit « envie imaginaire » (ce qui est un pléonasme) ce n’est pas pourtant certain qu’il s’agisse toujours d’une sorte de rêve inconsistant dont le moteur serait l’idéalisation. Une envie, toute imaginaire qu’elle soit, peut être aussi une manière tout à fait réaliste d’inscrire une pratique thérapeutique dans la réalité sociale. Quand, bien sûr, elle est fomentée à partir d’une réalité psychique où la dynamique Sujet/Moi est advenue, elle s’avère éminemment adaptative, donc légitime. Les psychanalystes archéo freudien dirait qu’elle a passé l’épreuve du Principe de réalité. Ce qui ne veut pas dire grand-chose, mais est métaphoriquement parlant. En général cette envie de psychanalyser, d’être psychanalyste s’accompagne d’un réel intérêt pour la théorie psychanalytique, qu’elle soit freudienne, lacanienne ou structurale. On a même, parfois, une connaissance approfondie qui la légitime. On explique cette envie par une aspiration si ce n’est humanitaire, au moins frappée au coin d’un humanisme classique. De bonnes raisons ou mêmes de bonnes intentions qu’on rationalise autour de la nécessité qu’il y aurait de soulager ses contemporains des souffrances psychiques dont ils sont affectés. Voire débarrasser la société, par une action de prévention prophylactique généralisée auprès des enfants, et des parents, des dérèglements psychiques quand ils sont pathologiques. Il y aurait là un engagement humanitaire et social. On serait alors dans la croyance que la théorie psychanalytique serait incontournable pour arriver à cette fin. La psychanalyse quoiqu’on en veuille s’apparente alors à une cause qu’on se doit de défendre envers et contre tous si cela s’avère nécessaire. Et pour le plus grand bien de l’humanité souffrante. On aurait été mordu par le prosélytisme de Freud. Et, donc, fidèle au Maître. Ce qui est essentiel puisqu’aussi bien dans cette occurrence la légitimité du psychanalyste se mesure à l’aune de cette fidélité. Comme elle se mesure, quand on est chrétien, à l’aune de la fidélité à Jésus ou, quand on est musulman, à l’aune de la fidélité à Mahomet. Je crois en Freud, puis en Lacan, dont je connais aveuglément la théorie, donc je suis psychanalyste parce que mon envie est légitimée par cette allégeance. Pour le dire, en référence à l’aphorisme de Lacan, on ne s’autorise pas de soi même mais de cette allégeance. On s’inscrit de facto dans une profession (de foi !) comme n’importe quelle autre profession de santé (fut-elle scientifique). Ce qui était sans doute l’intention de Freud puisqu’il croyait avoir inventé une véritable science psychologique nouvelle. La théorie psychanalytique, si elle est une science, suffit à valider la pratique de quiconque s’y adonne pour autant qu’il en ait une connaissance nécessaire et suffisante et qu’il ait foi en elle. C’est au fond un préjugé médical.
Cette conception de la validité et de la légitimité n’est plus tenable quoiqu’elle soit toujours opérante dans les communautés de psychanalystes freudiens. On sait, intellectuellement, qu’à supposer que la théorie psychanalytique freudienne soit scientifique, en connaitre véritablement les tenants et les aboutissants est sans doute une condition nécessaire mais non suffisante. Mais à supposer qu’elle le soit, l’objection resterait intacte. Donc même si la psychanalyse structurale s’avérerait véritablement être une science humaine, sa connaissance « pure et parfaite » ne suffirait pas à faire de quiconque un psychanalyste en proie à l’Acte psychanalytique. C’est pourtant sur cette illusion que s’est constituée la doctrine de la « formation des psychanalystes » au sein des associations patentées de psychanalystes freudiens. Il y avait des instituts censés apprendre la psychanalyse des Maîtres aux élèves psychanalystes. Cela me fait toujours sourire que même à Espace on parle encore « d’élève psychanalyste ». C’est d’un « anachronisme désuet ! Alors qu’Espace s’est constitué, après les Mannoni, sur l’idéologie de l’éclectisme. Eclectisme qui est censé s’inscrire en faux contre tout dogme. Cet éclectisme est toujours revendiqué par les héritiers choisis par Maud Mannoni pour faire perdurer son association et si j’en crois les confidences, qu’en son temps, Claude Boukobza (qui en était) m’a faites. Il faut bien dire qu’à certains égards le droit à l’invention à Espace a un petit relent ubuesque : on peut y aller de ses petites inventions dans l’ordre et la discipline freudo lacanienne. Mais pas plus (cf. Ubu Roi d’Alfred Jarry). Transgresser dans le cadre des élaborations freudo lacaniennes c’est-à-dire dans l’ordre dogmatique et la discipline débouche inéluctablement sur le culte de la petite différence que Freud dénonçait. Toutes des variantes des discours des Maîtres, Freud et Lacan, pourvu qu’on exégétise, peuvent trouver asile en son sein. Forcément cela débouche sur une Babel syncrétique. Pas même une effervescence intellectuelle. Mais je serais bien ingrat de m’insurger puisque je bénéficie du privilège de pouvoir inscrire mon séminaire, pas tout à fait clandestinement, en ces lieux.
Pour y revenir, les associations freudiennes de psychanalystes ont protocolisé cette manière d’enseigner, et d’autoriser, la psychanalyse. Elles ont pour vocation sa reproduction dont elles s’acquittent en prodigant un enseignement de la théorie et de la pratique, en leur sein ou à l’université. Enseignement qui se présente comme une orthodoxie. Elles ont surtout institué la psychanalyse didactique, qui n’existait pas véritablement du temps de Freud et les contrôles infligés aux impétrants psychanalystes. Ce n’est qu’après ce parcours initiatique que le psychanalyste reçoit l’autorisation pleine et entière de psychanalyser. A leur manière les associations freudiennes s’instituent en « Ordre ». De plus, dans certaines associations, il persiste encore une certaine hiérarchie entre les psychanalystes médecins ou psychiatres et ceux qui viennent d’autres disciplines. De la psychologie entre autres. A l’intérieur de ces communautés, tout se passerait comme dans la vie monastique, il y a les nobles moines et les frères convers. Ce qui d’une manière certaine constitue une dénégation de ce que Freud soutenait quant à la nature de la psychanalyse de n’être ni une pratique médicale, ni une philosophie, mais une psychologie scientifique. Je ne suis pas certain que nous ayons dépassé cette tradition médicale. Si oui, ce serait au profit de lui trouver une autre tradition, c’est à dire philosophique, avec Lacan. Ce qui consiste à tomber de Charybde en Scylla. En tout état de cause, dans cette perspective, il n’est absolument pas question d’un quelconque désir ni d’une auto autorisation. Etre psychanalyste consiste à acquérir une compétence théorique et technique dûment certifiée et contrôlée. Qui est capable intellectuellement d’acquérir ces compétences peut être reconnu psychanalyste par le didacticien et le contrôleur (en général deux)! Pour le dire abruptement, celui qui en a « envie » et qui prend les moyens de se former intellectuellement à la théorie et à la pratique peut l’être. Mais il n’est pas exclu que cet apprentissage, qui confine d’une certaine manière à l’initiation, puisse déboucher sur une véritable position de psychanalyste. Rien n’est impossible, mais il y a toutes les chances que cette manière d’envisager la formation des psychanalystes produise des psychothérapeutes d’obédience psychanalytique. Ce qui n’est pas si mal. C’est très utile les psychothérapeutes pour soulager les souffrances psychiques de ceux qui n’ont aucune envie de guérir et qui tiennent, légitimement, à leur survie. Car si on va plus loin, et si on admet que la psychanalyse freudienne n’est pas une science, alors on peut considérer que les associations archéo freudiennes sont les exécuteurs testamentaires de l’œuvre de Freud dont la mission est de sélectionner et former ceux qui sont dignes de recevoir, de pratiquer et de promouvoir l’héritage freudien. Les associations sont les gardiens du temple de la foi freudienne. Elles sont garantes du dogme qu’il faut préserver des hérésies et des scissions. Mais se trouver en position d’héritier est très dommageable et assez contradictoire avec la position du psychanalyste. En effet, si on accepte l’héritage, on se trouve de facto en position d’idéalisation. D’abord de ceux dont on hérite, Freud ou et/ou Lacan, mais aussi de ceux qui vous ont fait hériter : le didacticien et les contrôleurs. C’est pour cela qu’il faut être très vigilant, même aujourd’hui, quand on se trouve dans la fonction de « didacticien ». Car il n’y a rien de pire que de se croire destinataire d’un héritage infrangible qu’on a le devoir, à son tour, de préserver et de faire perdurer. Cette idéalisation, il est bien difficile de s’en déprendre si on croit qu’avec l’héritage on s’engage dans une mission sacrée. Car cette manière de concevoir la formation des psychanalystes est sous tendue par une obligation ou un présupposé non dit. A savoir que le postulant psychanalyste a l’obligation de s’identifier à leurs Maitres. Il reproduit la manière et le savoir de ceux-ci. C’est dire que cette formation s’appuie essentiellement sur la faculté d’idéalisation du postulant. En fait à la fois de la faculté d’idéalisation et d’auto censure. C’est-à-dire en termes métapsychologiques freudiens sur l’Idéal du Moi et le Surmoi. C’est une fabrique de bons élèves ou au mieux d’épigones qui répondent à l’injonction « tu seras psychanalyste mon fils ou ma fille », comme chez Molière dans le Bourgeois Gentilhomme. On devient mamamouchi. On est pour le moins dans la filiation. L’aliénation dans la filiation. Cela peut s’actualiser sous forme de dithyrambe de la théorie ou du psychanalyste didacticien. Reste que la filiation quoi qu’on en pense, cela provoque la sclérose théorique voire l’appauvrissement régressif. Et pas seulement chez les psychanalystes. Voire ce que Françoise Héritier (ça ne s’invente pas) a fait de l’anthropologie structurale que lui aurait léguée Lévi-Strauss. Une sorte de sociologie essentiellement mise au service d’une cause féministe militante. De l’ethnologie structurale on a seulement conservé la méthode ethnographique de recueil des « faits sociaux » au moyen d’une observation dite « participante ». Ce qui n’est guère glorieux. Le professeur Heidegger semble avoir fait mieux avec Hanna Arendt dont l’œuvre n’est absolument pas celle d’une élève. Il faut dire qu’ils ont vécu une véritable passion (subjective) quoique incongrue : lui nazi, elle juive. Ce qui change tout. Simplement on pourrait remarquer que, si on voulait se laisser aller à une interprétation digne du café du commerce, toute l’œuvre politique de celle-ci est centrée sur le totalitarisme et la culture. Reste qu’elle a une « pensée du Penser » créative tout à fait remarquable et qui ne doit rien à personne. Non explicitement du coté du Sujet (qui serait une problématique philosophique dont elle s’est toujours démarquée : elle ne fait pas de philosophie politique) mais de l’humain. Le Sujet humain aux prises avec les aléas du collectif et de l’aliénation dont le totalitarisme est l’exaltation. On pourrait dire contre les dérives de Heidegger.
Dans un autre champ, celui de la musique, j’ai fait l’expérience modeste, d’être choisi (sans doute parmi d’autres) pour être comme qui dirait l’héritier d’un maître, un petit maître. C’est une calamité d’être « élève préféré ». Dés l’enfance je pratiquais le violoncelle. Faire de la musique dans une famille petite bourgeoise de cette époque faisait partie de la bonne éducation. A vrai dire, ce n’était pas pour me déplaire. Très jeune j’ai été fasciné par la musique qu’on dit savante ou classique. Par la musique réelle, pas la musiquette ou la chansonnette. Cette fascination, cette passion, m’est tombée dessus très précocement. J’avais sans doute quatre ans ou même un peu moins. J’ai le souvenir qu’un soir je suis entré dans le salon familial qui était peu éclairé pour cause de couvre feu. Mon frère ainé écoutait sur le gramophone la neuvième symphonie de Beethoven. Au moment du chœur final. Ce qu’on appelle maintenant L’Hymne à la joie. Il a mis un doigt sur sa bouche pour m’intimer le silence. Ce n’était nullement nécessaire. Je suis resté figé sur le pas de la porte, saisi. Bien plutôt que cela, je dirais aujourd’hui que ce chœur a déclenché un éprouvé psychique fondamental. En tout cas quelque chose qui a fait effet et ne m’a jamais plus quitté.
J’avais pour professeur Paul Tortelier et pour répétitrice son épouse, Maud. Paul Tortelier était un des disciples préférés de Pablo Casals. Au moment où je devais entrer au collège, Tortelier s’était mis en tête qu’il était évident que je devais me consacrer au violoncelle. Faire carrière comme instrumentiste. Cela impliquait que j’arrête, ou tout au moins que j’aménage, mes études secondaires. Ne croyez pas que je me sois trouvé flatté. Bien au contraire. En effet j’avais déjà la conviction intime de n’avoir aucun talent d’interprète. Au point que quand il m’arrivait de jouer j’éprouvais une véritable souffrance tant l’écart entre ce que je produisais et ce que ma sensibilité me dictait était incommensurable. En fait insupportable. Quelque temps auparavant j’en avais fait la cruelle expérience. Avec un orchestre amateur assez médiocre, on devait exécuter une partie du magnificat de Bach. En particulier le « Quia fecit mihi magna » où le violoncelle accompagne la Basse. Cet accompagnement (ou ce dialogue) est d’apparence assez simple. Répétitif même. Une sorte de ritournelle. Mais il n’y a jamais rien de simple chez Bach. Et cette ritournelle s’avère assez sophistiquée où s’insère des variantes subtiles. C’est cela qui fait sens dans la musique : l’imprévisible. Je les percevais mais j’étais incapable de les interpréter. La honte à moi-même infligée. Seule ma sœur, qui elle était pianiste et musicienne (pleine de contenance), savait mon manque de talent. Fort heureusement, et à mon grand soulagement, on a mis un véto à ce destin funeste. Et quand je parle de soulagement, ce n’est pas un effet de rhétorique. Qu’on en juge : à l’époque j’avais l’oreille absolue et lisais trois clés. De plus j’avais une connaissance relativement approfondie du solfège. Dans la nuit qui a suivi cette décision j’ai tout oublié. Et cet oubli s’est avéré irréversible. Manière de dire que l’héritage n’est pas inéluctable. On peut s’y soustraire radicalement et sans effort. Non pas en s’opposant moïquement mais naturellement. Ce qui implique une configuration psychique particulière qui interdit le conformisme, fils de la soumission. C’est-à-dire qu’il n’est pas donné à tout le monde de pouvoir s’y soustraire. Manière de dire aussi que devenir musicien, compositeur ou interprète n’est pas une affaire d’envie. Comme devenir psychanalyste. Il faut à tout le moins en avoir les moyens non seulement technique mais avant tout psychique. Cette souffrance ne s’est pas pour autant apaisée. Elle s’est déplacée de l’interprétation personnelle à celle que produisent les musiciens. L’incapacité de la plupart à interpréter l’œuvre, leur incompréhension de ce qu’elle actualise fondamentalement et essentiellement (dans son sens quasi philosophique) déclenche toujours un rappel de cette souffrance. Comme s’il y avait là un attentat à la fonction subjective d’Ex-sistence. C’est pourquoi depuis longtemps j’écoute de la musique enregistrée. On peut choisir les interprètes. Mais là encore, il y a des imperfections techniques qui participent à la dénaturation de l’œuvre D’abord parce que l’enregistrement et la restitution numérique d’aujourd’hui élimine les harmoniques de la voix et des instruments. Il est vrai qu’aujourd’hui les ingénieurs du son tentent de pallier cette carence. Avec plus ou moins de bonheur. De fait l’ingénieur du son n’est plus seulement un technicien mais un interprète qui interprète l’interprétation de l’œuvre par les instrumentistes. Ensuite parce que la grande majorité des appareils de restitution sont d’une médiocrité insigne. Ce constat m’a fait faire l’acquisition d’une société (YBA) qui fabriquait des amplis et des préampli de très haut de gammes de telle sorte de pouvoir bénéficier d’une restitution numérique à peu près audible. Ces instruments étaient destinés à une catégorie particulière de clients qui étaient des passionnés du son, de la restitution du son. Pas forcément ce que l’on a coutume d’appeler des mélomanes. Je les qualifierais « d’audiopathes ». Mais le numérique n’aura jamais la qualité de l’enregistrement et de la restitution analogique. L’essentiel, même dans l’enregistrement et la restitution numérique est que soit préservée l’évocation de la présence Ex-sistentielle que l’œuvre actualise et que les interprètes font entendre (quand ils le sont, interprète).
Il faut dire que je n’étais pas plus tolérant avec Tortelier que je l’étais avec moi même. Malgré mon jeune âge, je sortais de l’enfance, je le considérais comme un piètre interprète. Ce qui semble avoir échappé à Casals. Juste capable de faire, avec une grande virtuosité technique, du « son ». Certes du beau son mais sans véritable expression musicale. Je dirais aujourd’hui d’expression « subjective ». Comme s’il était, tel Narcisse, amoureux de la beauté du son qu’il produisait. Mais vide. Désespérément vide. D’ailleurs ce qui reste de lui, aujourd’hui, c’est l’invention d’une pique qui améliore très sensiblement la sonorité du violoncelle. Comme quoi les « Maîtres » se trompent aussi sur le talent véritable de ceux qu’ils considèrent comme leurs élèves préférés : Casals s’est trompé sur le talent de Tortelier, Tortelier sur le mien. Ce n’est pas pour autant que l’art de Casals n’a pas eu effet de transmission sur les générations suivantes de violoncellistes : Mstislaw Rostropovitch, Yo Yo Ma par exemple, s’avèrent de formidables interprètes et s’inscrivent dans cette lignée créative. On peut évidement se raconter qu’il y aurait une filiation indirecte entre Rostropovitch et Casals au prétexte que son père, violoncelliste lui-même, avait un professeur qui avait été élève de Casals. Mais cette référence « généalogique », cette filiation indirecte tient de la mythologie : celles des grands ancêtres. De fait ce qui les anime l’un à l’autre c’est un certain Esprit de l’art du violoncelle. Un effet de transmission donc. Et non pas d’héritage. De fait, Yo Yo Ma en atteste parfois quand, en bis, il joue une berceuse que Casals avait composée à partir de celle qu’on lui chantait quand il était enfant. Reconnaissance donc. Reste que tous deux utilisent la pique Tortelier, comme une grande majorité de violoncellistes aujourd’hui.
Malgré cette amnésie, la passion pour la musique ne m’a jamais quittée. A l’époque il m’arrivait d’aller au festival de Prades pour écouter Casals. Au dernier auquel j’ai assisté, Casals se présentait comme un vieillard impotent. Il ne pouvait plus se mouvoir seul. C’était sans doute peu d’années avant sa mort. Je l’ai vu descendre la route qui menait à la chapelle où devait avoir lieu le concert. Il était soutenu d’un coté par Tortelier et de l’autre par Rudolf Serkin. Et puis on l’a installé sur sa chaise. Il a saisi son violoncelle. Il a commencé à jouer. Ce devait être une sonate pour piano et violoncelle de Beethoven (peut-être la troisième). Alors, il a fait entendre la voix humaine. Ne croyez pas que je fasse dans un lyrisme de pacotille. Le vieillard, malgré les années et la décrépitude physique a transmis l’écho d’une présence (Ex-Sistentielle) qui était au-delà de l’émotion esthétique dont les mélomanes s’entichent. C’est aujourd’hui que je le dis comme cela. A l’époque seul l’éprouvé était perçu et accessible. Mais cela m’a aussi marqué. Comme le choc éprouvé dans la petite enfance à l’écoute de l’hymne à la joie.
Ne croyez pas que je m’égare dans des souvenirs plus ou moins nostalgiques. La nostalgie ne fait pas partie de mon fonctionnement psychique. J’ai seulement la conviction que la musique ne devrait pas être indifférente aux psychanalystes. Elle a à voir avec la fonction subjective, bien plus que la littérature ou même la poésie. La musique et la poésie sont des arts « sémiotiques » (comme la sculpture ou la peinture) dont les problématiques du sens et de la signification sont totalement ou partiellement exclues. Ni la musique ni la poésie ne procèdent d’aucune fascination pour la signification. Elles opèrent à partir de l’organisation du son. Quelque chose qui atteste de l’humanité de l’homme hors sens. Certains qui sont au plus près de cette dimension, et qui la pensaient chacun dans leur champ, y sont sensibles. Lévi-Strauss, avant d’être anthropologue, voulait être compositeur ; Nietzche pensait que « la vie sans musique est tout simplement une erreur, une fatigue, un exil ». Et cette nécessité n’est pas sans rapport avec sa déclaration que dieu est mort (il fallait bien y trouver un remplaçant qui ne soit pas l’être). D’autres philosophes aussi comme Clément Rosset. Pour anticiper avec des développements ultérieurs, la musique et la poésie attestent de la fonction subjective dans le collectif bien plus radicalement que les autres arts. J’y reviendrai plus théoriquement dans les prochains séminaires.
Toutes ces digressions et réminiscences pseudo autobiographiques ont pour objectif d’en définir définitivement avec ces relents parasites des mythologies freudiennes et archéo freudiennes concernant à la fois la formation des psychanalystes (puisque c’est la formule consacrée) et la reconnaissance de son statut d’abord par une communauté représentative de psychanalystes, puis la puissance publique. La reconnaissance par la puissance publique permet sa légalisation sociale pourrait on dire. Légalisation sociale qui lui confère le « droit » d’exercer. Car ne sont socialement psychanalystes que ceux qui ont été adoubé par une association reconnue par la dite puissance publique. Ces conceptions vont à l’encontre de ce qu’il en est de l’Esprit de la psychanalyse et partant, et surtout, de la conception théorique de la structuration et du fonctionnement de l’appareil psychique. Elles en sont la dénégation. Si on voulait radicaliser on pourrait dire :
- On ne devient pas psychanalyste par décision moïque qu’on ferait valider par des protocoles d’enseignement et des rites de passage bricolés et rationalisés par une communauté de psychanalystes détenteurs de l’héritage de Freud et donc gardiens de la vraie foi.
- En effet, les dits protocoles font injonctions contradictoires au postulant puisqu’aussi bien ils lui intiment d’idéaliser (de sacraliser) et de se soumettre (obéir) au corpus infrangible d’élaborations mythologiques que nous auraient légué l’Ancêtre Fondateur et ses disciples. Cette manière de procéder sollicite donc l’Idéal du Moi et le Surmoi du néophyte ou les réactive. Ce qui n’est pas tenable au regard de ce qui devrait en être de la structuration et du fonctionnement de l’appareil psychique du futur psychanalyste en fin de psychanalyse.
Toutes ces manigances sont censées introniser l’impétrant dans le cercle restreint des élus. Le déclarer disciple parce qu’il est digne d’être « héritier » à son tour, ce qui implique l’obligation d’être à la fois pratiquant et prosélyte. Etre digne de l’héritage intellectuel nécessite de s’identifier à la cause par le truchement de celle échue à ses « Maitres » (psychanalystes contrôleurs). De fait quand on évoque l’Héritage de La lignée, on se place de facto dans la perspective sociale (ou ethnologique) des structures de parentés qui se présentent toujours comme des systèmes d’obligations et d’interdits qui sont autant d’injonctions à la soumission puisqu’ils opèrent à partir de la sacralité nécessaire à la cohésion du collectif. On sait, par expérience de psychanalyste, combien cette nécessité anthropologique peut-être ravageante (ou au mieux sclérosante) quand elle se substitue et remplace la capacité adaptative subjectivo/moïque de l’appareil psychique. On parle alors d’aliénation.
En effet, d’un point de vue ethnographique, ce processus et leurs aboutissements, sont identiques à ceux qui prévalent dans un clan ou dans une secte. Ils visent l’appartenance autour de croyances partagées et la préservation du clan et de la secte dans le temps. En effet, l’appartenance découle toujours d’un processus, volontaire ou non, d’aliénation. La Boétie parlait, lui, de servitude volontaire qui n’est pas en soi pathologique mais tient de la nécessité grégaire. Reste qu’il n’est pas certain que la théorie psychanalytique soit réduite à cette fonction mythologique (surtout si elle s’avère scientifique) qui assure la consistance d’une communauté de psychanalystes et leur permette, en vase clos, de survivre dans le collectif, c’est-à-dire dans la société. La théorie psychanalytique n’est pas seulement un moyen pour assurer à certains une survie confortable au détriment de la fonction véritable, qui n’est pas shamanique, du psychanalyste (et de la psychanalyse) dans le collectif. Encore que cette affirmation ne soit pas tout à fait exacte car même si cette analyse ethnographique schématique est exacte et pertinente (et elle l’est) ce n’est pas pour autant que ces manigances rituelles empêchent qu’il y ait au sein de ces communautés d’authentiques psychanalystes. Surtout si on prend au sérieux l’hypothèse que quelque chose d’une configuration psychique singulière pousse certains à « s’autoriser » psychanalyste authentiquement eux-mêmes, en dépit des mascarades qu’on leur inflige. C’est convenir que dans cette occurrence les mythologies et les rites n’auraient aucun effet d’obligation et que l’on peut tout à fait échapper aux méfaits de l’héritage, de la sacralisation, de l’identification. Ce que je suggérais avec cette histoire d’échapper aux « bonnes intentions » d’un Maître qui, comme chacun sait, sont un enfer. Mais, pour en terminer avec cette conclusion, il faut préciser qu’il n’est sans doute pas besoin de se servir (et de transformer) la théorie psychanalytique en mythologie, et en fabrique de « semblable », pour faire collectif dans la « réalité sociale ». Et le fait que la psychanalyse structurale soit une science sociale ne nous garantit en rien contre cette tentation. Une science quelle qu’elle soit, quand elle s’externalise hors son champ de recherche et d’application, se transforme toujours et malgré qu’on en veuille, en mythologie. C’est-à-dire en support de croyances. C’est inéluctable. C’est pour cela qu’il faut penser autrement la psychanalyse en extension. Faire en sorte que quand on s’engage dans le collectif comme psychanalyste, c’est-à-dire subjectivement, on ne favorise pas la reprise mythologique. Cela tient tout aussi que dans la cure de l’Acte.
DE LA PSYCHANALYSE COMME INTERMINABLE, COMME CAUSE DU DESIR DU PSYCHANALYSTE
Bien sûr, cette manière traditionnelle de considérer la formation des psychanalystes que je viens de décrire, Lacan en avait, il y a longtemps déjà, pris acte comme d’un fourvoiement. C’est d’ailleurs cette histoire de formation des psychanalystes, qui a provoqué la scission du mouvement psychanalytique français et déterminé la création en 1964 de l’Ecole Freudienne de Paris. Mais le nom lui-même de cette nouvelle association de psychanalystes ne laisse rien présager de bon quant à la théorie qui permettait de rendre compte de ce qui constitue quelqu’un comme psychanalyste. Une « Ecole » est habituellement un lieu où on dispense un enseignement de façon collective. On pourrait penser que cela constitue une dénégation de ce à quoi Lacan s’opposait. C’est-à-dire à l‘enseignement de la psychanalyse telle que la SFP (Société française de Psychanalyse) l’envisageait. Car, à bien des égards, son séminaire, à partir duquel l’Ecole Freudienne s’articulait, pouvait être considéré comme un enseignement. Pour tempérer cette première impression on peut recourir à l’étymologie du signifiant « Ecole » : c’est un lieu de loisirs pour les philosophes, un lieu où on ne travaille pas. Bien sûr, on pourrait pour sauver cette appellation, rapprocher ce « lieu de loisirs » avec la fonction de « divertissement » telle que je la définis. De fait jusque dans la deuxième moitié des années 1970 il y avait une véritable effervescence intellectuelle et collective autour du « Penser » la psychanalyse et autour de « l’enseignement » de Lacan dans son séminaire. Qu’il ne considère pas seulement du coté de la transmission. Parce qu’il y croyait dur comme fer, et traditionnellement, que les autres étaient ses élèves à qui il distillait un savoir. Cela a pris, cette effervescence au deuxième congrès de Rome en 1974 où Lacan fait un discours tout à fait incompréhensible (en tous cas pour moi), à part quelque chose autour du langage et de la langue. Et plus précisément autour du signifié et du signifiant. Discours qui ressemble à un chant du cygne (pour employer cette expression éculée). Reste qu’il y dit quelque chose qui s’apparente à ce que je viens d’énoncer et qui préfigure la dissolution :
« C’est bien pour ça d’ailleurs qu’il n’y a pas de véritable société fondée sur le discours psychanalytique. Il y a une école qui justement ne se définit pas d’être une société. Elle se définit de ce que j’enseigne quelque chose. Si rigolo que cela puisse paraitre quand on parle de l’Ecole freudienne, c’est quelque chose dans le genre de ce qui a fait les Stoïciens par exemple. Et même les stoïciens avaient comme un pressentiment du lacanisme. Ce sont eux qui ont inventé la distinction du signans et du signatum . Par contre, je leur dois, moi, mon respect pour le suicide – non pas pour les suicides fondés sur un badinage, mais pour cette forme de suicide qui est, en somme, l’acte à proprement parler. Il ne faut pas le rater, bien sûr, sinon ce n’est pas un acte »
Lacan parlait d’un enseignement qui ne ferait pas « société » mais école, sur le mode philosophique. Mais il y avait tout de même des « élèves »… et ces derniers auraient dû s’y balader comme les stoïciens au Portique. Lacan était persuadé que l’enseignement de type universitaire ne convenait pas à ce qu’il en est de la formation des psychanalystes. Donc il percevait une spécificité véritable, mais sans pouvoir théoriser et articuler ce qui spécifie la nature de ceux qui se destinent à l’acte psychanalytique. C’est lui qui propose de substituer à la référence de la formation celle de « transmission » dont on ne saura jamais de quoi elle est constituée. Ce dont il est convaincu, et qui a été à l’Ecole freudienne, c’est que le devenir psychanalyste ne relevait pas d’une simple acquisition d’un savoir, sanctionné par un tiers. Il y a essentiellement quelque chose d’autre qui spécifie le psychanalyste. Quelque chose qui restera, pour Lacan, jusqu’à la fin mystérieuse comme l’indique ses dernières interventions sur la transmission. Comme je l’ai dit, la calamiteuse invention de la passe est si ce n’est une preuve au moins un indice de son incompréhension de ce qui constitue le passage du divan au fauteuil. Mais résolument, à partir de ce quelque chose, il en a pris acte pour bannir de son école les rites et obligations que la SFP, et d’autres associations, avaient institué pour reconnaitre et autoriser ce passage du divan au fauteuil. Il a, par ailleurs, aboli l’ostracisme, latent ou déclaré, concernant l’origine disciplinaire de ceux qui se déclarent psychanalyste. Avec son « l’analyste s’autorise de lui-même et de quelques autres », il renoue avec la laïcité que Freud professait. La psychanalyse n’est ni médicale ni philosophique. D’ailleurs dans le texte que je viens de citer, il s’insurge contre le fait qu’on puisse considérer ses œuvres comme émanant d’un philosophe. Mais pour moi cette contestation est une dénégation. La future École de la cause est le nouveau lycée stoïcien.
Comme je viens de le dire, réfuter la formation au profit de la transmission ne fait que déplacer la problématique sans véritablement sortir de l’impasse car c’est persévérer dans la certitude qu’il faut que, pour qu’il y ait psychanalyste, il y ait une intervention exogène à l’appareil psychique. Intervention essentiellement qui demande donc un tiers qui transmet. Il y a quelque chose dans la cure qui passerait entre le psychanalyste et le psychanalysant, ce qui est faux. Cette croyance persistante a sans doute à voir avec le fait de concevoir la spécificité de la cure psychanalytique qu’au travers du transfert. Ce qui brouille tout. Y compris et surtout cette question du devenir psychanalyste. Si on se convainc qu’il ne se passe rien entre le psychanalyste et le psychanalysant, c’est-à-dire s’il n’y a ni échange ni relation moïque durant la cure comme j’ai tenté de le théoriser dans le dernier séminaire, alors on peut avoir l’espoir d’y comprendre quelque chose de ce passage. Et du même coup à la transmission. Et cela radicalise totalement la formule lacanienne : d’être psychanalyste il n’y a que d’auto-autorisation qui, elle-même, n’est possible que si on postule l’auto-organisation de l’appareil psychique. C’est un premier pas, mais essentiel. Et Lacan, et les lacaniens, étaient tout de même dans cette voie. Mais cette voie pour qu’elle aboutisse il eut fallu poser que, quoiqu’elle intervienne de surcroit, la guérison est possible. Ce que Lacan, et les lacaniens, après Freud ne peuvent concevoir. Et déclarer la cure psychanalytique infinie empêche toute théorisation du devenir psychanalyste. C’est même une contradiction dans les termes. Car le devenir psychanalyste est pour les lacaniens le résultat d’une cure, par définition, interminable. On est alors dans l’obligation de tenter d’articuler ce qu’on appelle toujours le désir du psychanalyste avec cette conviction. Il est vrai que dans l’une de ses dernières interventions Lacan prend acte « qu’il y en a qui guérissent ». Ce qui contredit cette conviction freudo lacanienne de l’existence d’une prétendue pulsion de mort. Si on ne peut théoriser le devenir psychanalyste c’est parce que l’on croit toujours à la pulsion et en particulier, à la pulsion de Mort. Une aporie ne peut qu’en entrainer d’autres. Si on en croit l’éloge du suicide évoquée dans la citation que je viens de rappeler, il y croyait dur comme fer, Lacan, à cette conviction heideggérienne où le sens de l’être se lit dans cette inéluctable course « vers la mort ». Celle-ci étant le dernier avatar des étants. Mais cette conviction interdit toute théorisation pertinente des conditions nécessaires et suffisantes qui permettent d’advenir psychanalyste. Aussi admettre que certains guérissent et, donc qu’il y a un état psychique véritable de guérison, c’est admettre que l’état psychonévrotique n’est pas le destin inéluctable d’Homo sapiens. Il y aurait une conformation psychique débarrassée de tout symptôme pathologique. Implicitement cela s’oppose à cette conviction qui fonde l’existentialisme philosophique. Freud lui avait l’intuition que la guérison avait à voir avec la fin des tourments qui génèrent ce mortel et fatal destin quand il affirmait qu’être guéri c’était ne plus avoir peur de la mort. Encore que cela ne soit pas certain car cette attitude impavide devant la mort peut être conceptualisée comme l’accès à une position stoïcienne ordinaire (non philosophique). Sans vouloir être trop lourd, on peut simplement rappeler que cette conviction que la psychanalyse est interminable et peut au mieux se borner à déclencher une attitude stoïcienne, est logique chez Freud et Lacan puisqu’aussi bien ni l’un ni l’autre n’ont bénéficié d’une psychanalyse et donc n’ont jamais fait l’expérience de ce qu’il en serait de la guérison quand on l’a mené à bonne fin. Ils n’en n’ont pas l’expérience. Pour l’un il n’y a pas eu cure psychanalytique. Pour l’autre elle a été interrompue. On ne peut accéder et penser que ce qui a été éprouvé puis ressenti dans la cure. D’où ce montage para logique, plus ou moins rationnel, élaboré par les lacaniens qui débouche sur la conclusion que la seule issue respectable pour sortir de sa propre cure c’est de prendre conscience de cet inéluctable et de désirer mener l’expérience de cette prise de conscience stoïcienne pour un autre lui-même en souffrance psychique. Le désir du psychanalyste serait alors de faire accéder, à défaut de « guérir », leur psychanalysant à cette prise de conscience et de mettre fin au conflit psychique qu’il y aurait entre Eros et Thanatos. Et de supporter l’idée de l’issue fatale et inéluctable de ce conflit, faire avec les effets délétères de la pulsion de mort. Il s’agit, alors, d’accéder à une sorte de stoïcisme naturel qui permet de continuer à vivre sans trop d’angoisse. On pourrait même dire accéder à une position stoïco-hédoniste puisqu’aussi bien cette prise de conscience, qui vaut dédramatisation, opère un clivage du fonctionnement psychique où la certitude de la mort acceptée (l’être pour la mort Heideggérien) sert de substratum et d’incitation aux envies du vivre. Mais quand bien même cette conception naïve (pseudo philosophique) avait un semblant de pertinence (ce qu’elle n’a pas), cela n’expliquerait pas pour autant pourquoi il y aurait des psychanalysants qui choisiraient de devenir psychanalyste, même si on évoque le désir de faire advenir chez un autre au stoïcisme ordinaire. Ou au contraire, pourquoi tous ceux qui entreprennent une psychanalyse ne deviendraient-ils pas tous psychanalystes ? Evidemment on peut arguer du fait que la grande majorité se contente pragmatiquement et prosaïquement du compromis positif entre « la pulsion de vie » et celle de « mort », auquel ils ont accédé durant leur cure. Mais cet argument est un simple constat qui ne dit rien du pourquoi certains (la majorité) se contentent d’accéder aux envies et d’autres (une infime minorité) non. La question énigmatique du devenir psychanalyste reste donc entière et irrésolue.
Il faudrait conclure que chez les futurs psychanalystes ce compromis dû à ce clivage, où l’être pour la mort n’est plus empêchement à survivre harmonieusement, ne s’actualiserait pas réellement. Ou bien que la prise de conscience qu’ils en ont et forcerait alors ceux qui se déclarent psychanalyste pour se déprendre de leur propre cure sans l’interrompre, à prendre pour position un autre de passeur vers ce stoïcisme ordinaire. Manière d’attester l’interminable de la cure et ce faisant, de la réversibilité de la position de psychanalysant avec celle de psychanalyste. Ce qui n’est au fond qu’une identification aux fondateurs de la psychanalyse. Car sans qu’on ose l’affirmer explicitement il y a de précédents prestigieux qui marquent le bien fondé de cette réversibilité : Freud et Lacan. Tous deux, comme la plupart des psychanalystes actuels, occupent la double place du psychanalysant, en poursuivant indéfiniment leurs élaborations prétendument pour transmettre et de psychanalyste pour un autre. Ce qui garantit la perduration de la psychanalyse ou de ce qui en tient lieu. Tentative de guérir chez l’autre ce qu’on ne peut atteindre soi et de l’amener à ce point d’acceptation de l’inacceptable. Si tel était le cas, il n’y aurait pas de psychanalyse dans le sens de la psychanalyse structurale mais psychothérapie pré psychanalytique. Psychothérapie qui amène celui qui en fait l’expérience là où son psychanalyste en est, au moment où il en est de son propre bricolage d’un mode de survie confortable qu’il propose comme modèle identificatoire…
Reste tout de même que la position de Lacan et des lacaniens constitue une réelle avancée puisqu’elle intègre d’une certaine manière deux autres convictions de Lacan :
- Devenir psychanalyste ne dépend pas d’un tiers
- Devenir psychanalyste n’est pas déterminé par l’acquisition d’un thésaurus de connaissances. En d’autre terme on n’apprend pas pour devenir et se déclarer psychanalyste. Le désir de savoir ne fait pas le psychanalyste.
Auquel il faut ajouter un constat tout à fait important :
Le devenir psychanalyste se joue autour de la question de la fin de la cure psychanalytique
Paradoxalement chez les lacaniens, sur la conviction que la cure n’a pas de fin. Alors que dans la théorie de la psychanalyse structurale, la cure a une fin qui correspond à une structuration métapsychologique particulière de l’appareil psychique.
En effet même si on considère théoriquement qu’une cure a une fin, on se trouve devant la même énigme de pourquoi certains qui ont terminé leur psychanalyse s’empressent de tout oublier alors que d’autres (en minorité) se trouvent contraints à l’impératif de psychanalyser. En appeler à la seule guérison n’est donc pas pertinent pour élucider cette question. On pourrait même dire que conduire à bonne fin une cure psychanalytique rend quasi improbable, si ce n’est impossible, qu’il y ait désir ou intention de psychanalyser. Nous en sommes donc toujours au même point. Il faut s’en convaincre, ce n’est pas le recours à l’auto organisation ou à la guérison qui nous permet de dire ce qui détermine cette intention spécifique de psychanalyser. L’auto organisation qui aboutit à la guérison est nécessaire pour qu’il y ai véritablement du psychanalyste possible. J’ai bien conscience que, pour vous, tout cela se présence de manière limpide. Et que je radote. Mais ce radotage a pour objectif de montrer que cette clarté n’est qu’apparente. Cette obscure clarté ne dit rien sur la nature de cette contrainte psychique qui détermine quelqu’un à psychanalyser. En appeler au « deux ex machina » de la guérison et de l’auto organisation n’est pas faux mais tout à fin insuffisant théoriquement. Ce n’est pas plus explicatif que d’évoquer la vertu dormitive de l’opium pour expliquer pourquoi l’opium fait dormir. Cela nous fait une belle jambe ce constat en forme de tautologie circulaire. Pourtant cela peut être aussi une base théorique solide puisqu’aussi bien on sait, sur le plan topique, qu’il ne peut y avoir de psychanalyste que de guéri et que toute guérison s’avère si advient une structure psychique constituée d’un Sujet et d’un Moi qui entrent en dynamique. C’est cela le point qui permet de reprendre cette problématique de passage du divan au fauteuil là où Lacan nous a laissé dans le flou et la confusion. Ce n’est pas très sorcier d’en articuler quelque chose de consistant et de pertinent. Mais on hésite toujours à dissiper le mystère et le remplacer par une trivialité théorique.
Merci de votre attention,
Marc Lebailly
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